Ce vendredi dix mai, au moment du réveil, la lumière du matin est plus forte qu’aux autres jours.
Les bruits de la maison ne sont pas ceux que je perçois habituellement les jours d’école. Pourtant nous sommes bien vendredi, rien ne devrait être différent.
Il se passe quelque chose d’anormal. Pourquoi ma mère n’est-elle pas venue me réveiller ?
Je descends à la salle à manger.
La TSF grésille dans son coin. Le speaker de l’INR semble se trouver dans un état de surexcitation aiguë. On le croirait payé à la syllabe débitée.
Mon père qui devrait se trouver au travail à cette heure a l’oreille collée au poste.
Dans la cuisine ma mère fait la vaisselle en écoutant les nouvelles par la porte entrebâillée.
Comme je m’approche d’elle, elle pose un index sur ses lèvres m’enjoignant au silence.
Le speaker vient de se taire subitement et une Brabançonne vigoureuse retentit, faisant trembloter le tissu qui recouvre le haut parleur de la radio.
Ma mère m’annonce alors que les Allemands ont envahi la Belgique très tôt ce matin. On sait déjà que le fort d’Eben Emael réputé invincible est tombé entre leurs mains.
Les frontières ont été percées en plusieurs endroits. L’armée belge se défend opiniâtrement mais semble débordée.
Que va-t-il résulter de tout cela ?
Une fois de plus, je ne comprends pas exactement ce qu’il se passe.
Les événements qui mettent mes parents en émoi n’ont pas troublé mon appétit aiguisé par le lever tardif.
Après une sustentation copieuse je m’habille et sors de la maison en promettant à mes parents qui font toujours corps avec la TSF de ne pas m’éloigner.
Le temps est superbe. Pas un seul nuage pour tempérer le soleil flamboyant qui doit s’être trompé de saison.
Dehors, les gens du quartier discutent avec fébrilité.
Les enfants de mon âge ont l’air aussi peu éclairés des événements que je le suis.
Je m’approche d’un groupe d’adolescents.
Le plus déluré d’entre eux déclare tenir de son frère que les Allemands utiliseront certainement des gaz asphyxiants comme lors de la guerre précédente. Ce frère qui prétend tout connaître de l’histoire de la Grande Guerre est formel : l’Apocalypse est proche.
Il n’existe d’après lui qu’un moyen de prévention en l’absence de masques à gaz : uriner sur un mouchoir et l’appliquer fortement sur les narines.
Je rentre chez moi, cours à la lingère et glisse dans la poche de ma culotte un grand mouchoir rouge à pois blancs appartenant à mon père. Je suis convaincu qu’équipé de la sorte je suis paré à vaincre le principal danger de la guerre.
Rasséréné, je m’en vais rejoindre des amis afin d’engager avec eux quelque jeu pour étrenner joyeusement ces vacances inespérées.
J’entrevois mes deux sœurs.
Yvonne, l’aînée a l’air soucieux. Elle songe à son mari appelé sous les armes Où se trouve-t-il à l’heure présente ? Est-il engagé au combat ? Vit-il encore ?

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