Nous habitions Anvers, une grande ville du nord de la Belgique. A la maison, nous parlions le français, et quand j’étais petit, je ne me rendais pas compte que les gens de la ville parlaient une autre langue, le néerlandais. Je ne suis pas allé en maternelle, et quand j’ai eu six ans, mes parents m’ont mis dans une école flamande. Comme sans doute beaucoup d’autres enfants ce jour-là, j’ai pleuré quand la cloche a sonné et que les parents nous ont laissés tout seuls avec tous des inconnus, les autres enfants et les professeurs. Moi, en plus, je ne comprenais rien. Heureusement, la demoiselle était très gentille, et je n’étais pas le seul à ne pas connaître le néerlandais. Elle nous donnait des explications en français, et nous avons vite commencé à nous débrouiller.
J’ai appris à lire par la méthode globale, avec des phrases dont les mots étaient écrits sur des cartons qu’il fallait assembler. Le néerlandais est bien plus facile que le français, car on prononce les lettres comme elles sont écrites. Il n’y a pas de mots comme « oiseau » dont aucune lettre n’est prononcée, il ne faut pas mettre la lettre « e » dans « nous mangeons » pour éviter de prononcer "mangon" ; on n’a pas besoin de cédille pour éviter de dire calecon au lieu de caleçon.
C’était une école de filles, car à cette époque il n’existait pas d’écoles mixtes. Pour les deux premières années, il y avait cependant des classes séparées pour les garçons. Dans la cour de récréation, une ligne blanche marquait la frontière entre le territoire des filles et celui des garçons. Nous nous amusions évidemment à lancer nos ballons vers les filles, et la surveillante des filles était furieuse de devoir les relancer de notre côté.
J’étais gaucher et à cette époque, on écrivait avec une plume trempée dans un encrier. Je faisais beaucoup de taches, et en plus, ma main gauche passait sur ce que je venais d’écrire et qui n’était pas encore sec. Très gêné, je prenais une gomme et je frottais si fort que je trouais le papier de mon cahier. Catastrophe ! Du coup, je déchirais la page. Finalement, mes cahiers étaient tout minces. La demoiselle de deuxième année était sévère. Elle fit venir ma mère et devant toute la classe elle me fit honte. Dans une caisse posée sur le sol, la classe avait pour mascotte une souris blanche. J’avais si honte que je la regardais, et que j’aurais voulu être à sa place.
J’étais né avec de « grandes oreilles », c’est-à-dire qu’elles étaient décollées. Grâce à cela, j’entendais très bien, même quand il y avait beaucoup de brouhaha. Après les deux premières années à l’école des filles, mes parents m’ont inscrit au « grand collège » des jésuites, au centre de la ville. On leur avait conseillé de me faire d’abord opérer des oreilles, pour éviter que les plus grands parmi les élèves ne se moquent de mes « feuilles de chou ». Un médecin anglais m’a découpé de chaque oreille un quartier d’orange, puis il a recousu ce qui restait avec une grosse aiguille et du fil qui dur qui chatouillait. Pour ne pas me cogner, j’ai porté pendant toutes les vacances un gros bandage qui me faisait ressembler à un cosmonaute.
C’est ma mère qui surveillait nos devoirs et nous faisait répéter nos leçons. Mon père passait la journée au bureau et ne rentrait que le soir. Ma mère était plutôt patiente, mais finissait par s’énerver quand je me trompais dans les questions de catéchisme. Il fallait connaître les réponses par cœur, sans oublier un mot. Quand je fus plus grand, elle voulait que j’aie toujours de très bonnes notes mais lors d’un examen d’histoire, je n’ai été que le 13ème de la classe sur 25. J’ai été privé de cinéma (je voulais aller voir « Quo Vadis ? », un film historique qui venait de sortir). Il n’y avait pas de télévision à la maison avant que je n’atteigne les 15 ans…
clodomir Répondre
moi aussi, j’étais gaucher......on m’a redressé et maintenant j’écris à la main droite.....mais je suis resté mal latéralisé pour toute ma vie : j’écris à la main droite, je mange ma soupe à la main gauche, je vise à l’œil gauche, je shoote au pied gauche et j’écoute à l’oreille droite......