J’ai presque dix ans, je suis en cinquième année primaire au collège à Schaerbeek.
Avant de nous donner sa leçon de néerlandais, l’abbé M. nous soumet à un test écrit pour vérifier que nous avons bien étudié le cours précédent. Je trempe ma plume dans l’encrier de faïence blanche qui orne le sommet du pupitre. J’écris, en lettres verdâtres, mon nom et la date du jour d’une main tremblante : je n’ai pas étudié ma leçon et je n’attends rien de bon de ce qu’en pensera l’abbé en lisant ce que je vais griffonner sur la demi-feuille de papier et lui remettre sans conviction.
L’abbé est en effet connu de tous pour ses méthodes expéditives. Il nous impressionne par sa haute taille, sa robuste silhouette et sa voix puissante.
Il se met à lire nos réponses une à une et fronce les sourcils. Aux mauvais élèves il propose le choix suivant : une longue punition écrite à faire à la maison ou la fessée sur le champ, devant la classe en émoi. Parmi les premiers élèves passés en revue, il y a quelques cancres, grands et forts, qui choisissent sans hésiter la fessée.
Chacun d’eux monte à son tour sur l’estrade où notre professeur attend, fermement installé sur son siège. Sous les raclées vigoureuses de l’abbé, ils finissent quand même par crier leur douleur, ce qui nous fait rire méchamment, rien qu’un instant, car notre tour viendra sans doute, le mien sûrement.
Cette fois, c’est à moi. Confronté au même choix, je préfère le châtiment corporel, histoire de faire comme les autres, ceux qui n’ont pas peur. De ses énormes mains, l’abbé me saisit les avant-bras, il me plaque la poitrine sur ses genoux et aussitôt sa main droite se met en mouvement du haut vers le bas, pour s’arrêter avec fracas sur mon postérieur. Quelle douleur, quelle humiliation de me trouver ainsi violenté par une sorte de King-Kong, dans l’odeur persistante du cigare qu’il vient de fumer à la récré ! J’ai envie de crier « Maman, au secours ! » comme je le faisais tout petit.
Voilà, c’est fini. Je saute de l’estrade et cours rejoindre mon banc, sous les quolibets des élèves qui, par chance ou par mérite, ont échappé à la sévérité du bourreau. Cette fois, les fesses douloureuses, je ne ris plus. Je me promets d’étudier la prochaine leçon pour m’éviter cette humiliation. Voilà bien une des rares bonnes résolutions que je suivrai jusqu’à la fin de l’année.
Vous me croirez ou non, malgré ses méthodes d’un autre âge, l’abbé M. sera, tout compte fait, le meilleur de mes professeurs de néerlandais, à l’école primaire…
jean pierre Répondre
je trouve que l’on peut punir sans fessées