Mai 1940. Enghien. Petite ville hennuyère de cinq mille habitants.
J’y suis né et y ai été élevé par un couple modeste particulièrement uni. Mon père était ouvrier verrier, ma mère épicière. Une demi-sœur célibataire de vingt ans vivait avec nous. L’autre, à peine plus âgée dont le mari avait été rappelé sous les drapeaux, habitait à proximité de notre demeure. Elle avait un fils, Joseph. Lui et moi nous nous comportions en frères. J’avais six ans quand la guerre vint bousculer notre bonheur tranquille.
Après un violent bombardement de la ville par l’aviation allemande, toute la famille s’est précipitée sur les routes de l’exode. J’y ai vécu des moments tragiques, moments qui se sont imprimés à tout jamais dans ma mémoire. Les images que j’en ai gardées ressemblent à de vieilles photos aux tons sépias. Le temps en a estompé les pourtours et les détails. Mais elles dégagent toujours leur flot d’impressions originales telles que les a ressenties le garçonnet que j’étais.
La mémoire des événements vécus a été entretenue par mes parents, par une de mes sœurs, ainsi que par une cousine, à l’époque photographe de profession et dont j’ai pu consulter les albums.
En ce qui concerne le fond du récit, tous les faits narrés sont authentiques. Certains ne se situent peut être pas toujours exactement dans leur ordre chronologique.
Yolande Moreau admirable metteur en scène du film « Quand la mer monte » a dit qu’il fallait donner vie à la fiction et fiction à la vie. J’ai suivi son conseil et ajouté là où il le fallait un soupçon de fiction pour compléter des souvenirs que le temps avait ankylosés et partiellement gommés de ma mémoire.
J’ai taillé aux anciens faits des habits neufs créés par mon imagination ou peut-être même par mon inconscient.
Si quelques détails ne sont pas exactement ceux qui ont entouré les faits, ils s’en rapprochent certainement très fort.
Pour moi, en tous cas, l’histoire qui va suivre représente bien celle que j’ai vécue.
L’exode, épisode 1 (Adrien)
Ma mère me presse contre elle comme si elle voulait me faire rentrer dans ses entrailles pour me soustraire au bruit et à la fureur ambiants.
Elle me parle doucement à (...)
L’exode, épisode 2 (Adrien)
Ce vendredi dix mai, au moment du réveil, la lumière du matin est plus forte qu’aux autres jours.
Les bruits de la maison ne sont pas ceux que je perçois habituellement les jours (...)
L’exode, épisode 3 (Adrien)
Les vacances inopinées prennent désagréablement fin deux jours plus tard lorsque des avions allemands lâchent quelques bombes à Marcq, village voisin sur la route de la France. (...)
lire plusL’exode, épisode 4 (Adrien)
Après une demi-heure de marche, nous bifurquons vers Hoves où des amis de mes parents nous offrent l’hospitalité pour la nuit.
Joseph et moi faisons paillasse par terre. Dans la (...)
L’exode, épisode 5 (Adrien)
Vers la fin de l’après-midi apparaissent, en sens inverse au nôtre et en se suivant, deux énormes chars français. Ce sont les premiers chars qui me sont donnés de voir.
Le (...)
L’exode, épisode 6 (Adrien)
Ma mère nous fait part d’une mésaventure qu’elle a vécue cette après-midi.
Pendant que nous étions tous assis pour nous reposer à l’orée d’un bois, elle s’est retirée discrètement, (...)
L’exode, épisode 7 (Adrien)
Soudain au-dessus de nos têtes retentit le hurlement caractéristique d’une sirène de Stuka. Nous bondissons vers un bosquet qui longe la route Avec une synchronisation presque (...)
lire plusL’exode, épisode 8 (Adrien)
On dirait que le soleil a décidé de se fixer définitivement dans un ciel d’où les nuages paraissaient, par émulation, avoir pris le chemin de l’exode.
Le long de la route des (...)
L’exode, épisode 9 (Adrien)
Devant nous, à environ cent mètres, la file ralentit anormalement puis s’arrête.
Un bouchon humain s’est formé devant une plantation de peupliers en contrebas de la route.
Ceux (...)
L’exode, épisode 10 (Adrien)
Ce matin, une fine pluie nous a surpris autant qu’elle nous a rafraîchis. Mais très vite le soleil brûlant a repris sa place sur son trône zénithal et nous dispense ses rayons (...)
lire plusL’exode, épisode 11 (Adrien)
Ma sœur a pris du retard sur les autres membres de la famille qui ont déjà dépassé les dernières maisons du village. Nous atteignons seulement la place de l’église.
J’ai (...)
L’exode, épisode 12 (Adrien)
Lille, fin mai 1940.
Nous avons trouvé à nous loger dans la cave d’un immeuble occupé par une veuve sexagénaire, à proximité du centre de la ville.
Dès notre arrivée nous apprenons (...)