Les vacances inopinées prennent désagréablement fin deux jours plus tard lorsque des avions allemands lâchent quelques bombes à Marcq, village voisin sur la route de la France.
Ils remettent cela encore deux jours après. Des voies de chemin de fer sont détruites avec une précision topographique.
Un Junkers 52 est abattu par la DCA anglaise.
Un bombardier Heinkel 111 est descendu en flammes par un Hurricane anglais près de la gare de Bierghes. Ses cinq occupants sont tués.(*) Le pilote anglais perd la vie le même jour au cours d’un combat aérien dans une autre partie du ciel hennuyer.
Je commence à comprendre que nous rentrons dans une période peu commune mais ne saisis pas encore entièrement l’ampleur du danger qui va la caractériser.
Le lendemain nouveau bombardement à la route de Soignies.
Et le 16 mai, comme si elle n’avait que cela à faire, avec une indéfectible pugnacité, l’aviation allemande s’attaque à la ville en un bombardement intensif par nappes, méthode inaugurée pendant la guerre d’Espagne et notamment à Guernica. Trente-six civils et quatre soldats anglais seront victimes des bombes.
Le rappel des nombreuses atrocités commises par les Allemands sur la population civile en 1914, la vue des ruines fumantes et des cadavres mutilés, les innombrables réfugiés qui traversent la localité ainsi que les nouvelles alarmantes diffusées par la TSF décident un grand nombre d’habitants de la ville à se mêler à l’interminable colonne de fuyards qui se dirige vers la France.
Mes parents décident de se joindre à eux.
Les rapports qu’ils ont été obligés d’entretenir avec les Allemands de 1914 à 1918 leur ont laissé un souvenir aussi impérissable qu’un sac en plastique non recyclable.
Mon père avait vingt-sept ans en 1914.
Quelques années plus tôt il avait tiré un bon numéro au bureau de la conscription. Il ne porterait donc jamais l’uniforme.
Bourré comme il convient de l’être en cette agréable circonstance, il avait poliment tiré sa révérence au service militaire, à l’adjudant recruteur, à ses pompes qu’il n’avait qu’à cirer lui-même et à ses œuvres.
La même année, ma mère avait 22 ans.
Ils se rappellent encore très bien les horribles massacres que les Teutons ont perpétrés en Gaume, hommes, femmes et enfants dont le seul crime avait consisté à se trouver sur leur passage.
L’Histoire ne va-t-elle pas se répéter ? Le dernier bombardement terroriste le laisse supposer.
Il n’est pas question de passer une nuit de plus dans la ville.
C’est donc la peur au ventre que le 17 mai ils organisent le départ.
Deux valises sont remplies du strict nécessaire.
Mon père portera en bandouillère un sac contenant des objets de première nécessité.
Les deux filles Yvonne et Milda transporteront les enfants, Joseph et moi, sur le porte-bagages de leur vélo respectif.
Ma mère déconnecte les compteurs de gaz et d’électricité, ferme les volets ainsi que la porte massive du magasin.
Elle dépose une clé chez le voisin qui a décidé de rester sur place. Il promet de surveiller la maison et de soigner les pigeons.
Malgré l’heure déjà tardive le cortège familial s’ébranle pour rejoindre le chemin de l’exode qui passe à cent mètres de la maison, en direction de la France.


(*) Une soixantaine d’années plus tard les restes de l’avion allemand seront exhumés et certains exposés dans un musée régional à Marcq. Il s’agit d’un des moteurs aux hélices perforées par des balles anglaises, d’une mitrailleuse de bord ainsi que de divers accessoires et objets personnels des aviateurs.

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