Dans le petit jardin de mes parents, trônait un magnifique rosier grimpant. Il était attaché à un piquet à linge métallique. De solides morceaux de corde le maintenaient debout. Il résistait au temps et aux bourrasques du vent.
Son feuillage épais camouflait son tuteur vexé d’être caché. À cause de toutes les branches recouvertes d’épines, le piquet s’écaillait et n’avait plus le droit d’être remis à neuf. Lui qui se verdissait, jalousait ses confrères fraîchement repeints en rouge. Chaque nuit, il rêvait d’expulser cet intrus qui prenait tout l’espace, le privant de son aura.
Il ne supportait plus sa peau qui s’écaillait, et ne pouvait attendre d’être anéanti en pourrissant sur place. Sa vengeance était proche et il la nourrissait de hargne, de jalousie. Le rosier hériterait des germes qu’il gardait bien cachés en son sein. C’était ceux de la rouille, maladie bien connue des rosiers de chez nous.
Mai était de retour. Le rosier fleurissait un peu plus chaque jour. Dès l’aube, toutes ses jolies fleurs d’un rose éclatant se miraient dans les perles de rosée accrochées au feuillage.
J’adorais l’admirer, toucher du bout des doigts chaque pétale délicat et sentir la douceur de ce velours si beau qui caressait ma peau.
Au cœur de chaque fleur, je plantais mon petit nez. Mes narines inspiraient ce doux parfum unique qui enivrait mes sens. Le rosier embaumait ce beau coin du jardin, attirait les abeilles et les frêles papillons. C’était un enchantement que j’aimais savourer en ne pensant plus à rien.
Parfois tôt le matin, j’allais cueillir une rose, la plus belle de toutes. Elle était destinée à mon institutrice, celle de maternelle que je chérissais tant.
À la fin de l’été, mon rosier fatigué fleurissait nettement moins. Ma crainte était de voir arriver Alexandre, l’oncle de ma maman. Dès l’automne installé, il entrait au jardin un sécateur en main. Il taillait le rosier pour le rendre plus fort et riait de me voir privée des dernières roses. Mon ami s’endormait emportant avec lui le secret de ses roses et de son doux parfum.
Durant les mois d’hiver, j’étais loin de me douter que le vilain piquet allait sournoisement s’attaquer au rosier qui lui faisait ombrage.
Au retour du printemps, ses branches brunissaient, ses feuilles se tachaient et les roses attendues ne voyaient pas le jour. Les boutons flétrissaient. Soumis, ils courbaient l’échine en privant chaque fleur de la sève nécessaire à l’épanouissement. Mon rosier se mourait et je me chagrinais face à un tel désastre.
Pour éviter tous risques de contagion, Alexandre a saisi sa bêche ainsi que sa pioche pour ôter du jardin l’être contaminé. Il a pris de l’antirouille pour traiter le piquet avant de le repeindre. Ce dernier remis à neuf était ravi de sa victoire et son rouge agressif me brûlait les pupilles.
Le jardin était triste privé de sa merveille. Mon cœur d’enfant serré avait beaucoup de mal à retenir les larmes qui perlaient à mes cils. J’avais envie de crier et de donner des coups à ce vilain piquet.
Le rosier m’a laissé en guise de testament l’art de s’émerveiller et d’enivrer ses sens, les secrets de l’amour qu’on peut porter aux fleurs qui vous le rendent bien.