Chère amie,

Pour te mettre en contexte, il fait présentement -20c et -30c avec le facteur éolien. Comme j’aime me braver dans la vie, j’ai décidé d’affronter le froid et d’aller prendre une petite marche de santé. Je me suis donc habillée en conséquence, c’est-à-dire en rangs d’oignon comme on dit par ici. Je t’explique comment et tu vas comprendre pourquoi.

Après avoir mis mes sous-vêtements habituels (soutien-gorge et petite culotte), j’enfile une deuxième rangée de sous-vêtements (camisole et caleçon longs), suivis de mes vêtements réguliers (chandail à manches longues, pantalons et chaussettes). Je suis maintenant prête pour enfiler mes sur-vêtements d’hiver. Et ça commence par des chaussettes de laine, pantalons épais qui repoussent vent et humidité, des bottes à neige, un cache-col, un foulard, une tuque, une paire de moufles suivie d’une autre paire plus épaisse et enfin un manteau rehaussé d’un capuchon pour protéger la tête du vent froid qui nous vient directement du nord aujourd’hui.

Rappelle-toi qu’en me préparant, je pensais à toi. Alors, es-tu prête ?
J’ouvre la porte. Le froid a déjà trouvé la partie de mon visage qui n’est pas recouverte car je dois voir où je mets les pieds. Je sors et ferme la porte derrière moi. Je sais que je veux faire le tour de ma subdivision et que ça va me prendre une trentaine de minutes. Je me pose la question ; « Est-ce que je vais être capable de faire le tour sans devoir rebrousser chemin car le vent est moyennement fort et le froid intense ». Je sais aussi qu’en pareilles conditions, on peut geler le visage en une quinzaine de minutes. Mais je suis canadienne, n’est-ce pas ? Il serait honteux d’abandonner. Alors, j’y vais.

Je commence à marcher. Je prends plaisir d’ajouter un nouveau pas à mon parcours. Un autre, puis un autre. J’avance et j’aime être dehors par ces conditions atmosphériques. Il y a un beau ciel bleu, le soleil brille de tous ses éclats boréaux. Le sol est recouvert d’une couche de neige fraîchement tombée. Il y en a peut-être une dizaine de centimètres. Comme la température frise les -20c, la neige s’est cristallisée en tombant. Les rayons du soleil s’y cognent et s’y reflètent. La blancheur du sol est rehaussée d’une brillance qui agace la vue.

Je suis en mouvement depuis cinq minutes environ. Je commence à ressentir le froid au bout de mes doigts. Je sais que c’est à cause du vent pénétrant. Je mets donc mes mains à l’abri, dans les poches de mon manteau. Le problème se règle aussitôt et je continue. Chemin faisant, je rencontre une jeune femme courageuse qui distribue des circulaires de maisons en maison. Je la salue d’un sourire et elle me rend la pareille. Ca me rend heureuse d’être dehors.
Tout en marchant, je change de direction quasiment à chaque coin de rue. Je dois donc m’adapter régulièrement aux différents angles que le vent me frappe. Je marche donc tantôt en me penchant la tête vers la droite, la gauche ou en bas selon de quel côté mon visage a besoin d’être protégé du froid. J’aime cette activité hivernale et les défis qu’elle m’apporte.

Voilà maintenant une quinzaine que je m’active. Je commence à ressentir les effets bénéfiques de ma marche. Un léger réchauffement de tout mon corps qui me fait sourire de l’intérieur. Je me sens bien.

J’aime la nature et comme j’aimerais avoir de la compagnie pour partager ce petit bout de vie. Je pense aux membres de ma famille, ils sont tous occupés. Je pense à plusieurs amies, elles aussi restreintes par leur horaire. Et puis me viennent en tête toutes sortes de personnages importants pour moi. C’est comme ça que ton visage et ta personnalité sont venus m’habiter et que j’ai sciemment décidé de te faire marcher avec moi pour le reste de mon trajet.

Dans mon imaginaire, je constate toute la différence climatique qui nous sépare, Toi, ton désert brun, granuleux, surchauffé par les rayons du soleil et balayé par des vents chauds, étouffants et secs. Moi, mon sol blanc, compact, gelé en profondeur par des froids répétitifs et fouetté par des vents nordiques frigorifiques. Mais dans mon monde inventé du présent, il y a aussi toute une ressemblance qui nous unit. Nous sommes sur la même planète, partageons le même soleil, subissons les mêmes vents se la vie. Je te porte donc en moi, pour que tu sois bien au chaud et je continue ma marche humaine en même temps que ma marche de plaisir.

Mes pas crispent sur la neige. Je ressorts mes mains de mes poches, je descends mon capuchon pour mieux ressentir le vent froid pénétrer ma tuque et me rafraichir la tête. Pour moi, il est important de finir ma marche avec un contact direct avec la nature. J’arrive au dernier coin de rue. Ma journée est bien entamée. Je peux donc rentrer à la maison et tricoter bien au chaud.

Mabel L. (Moncton, Nouveau-Brunswick, Canada)

1 commentaire Répondre

  • Danielle Laforest Répondre

    Bonjour,

    Il fait encore froid à Montréal où j’habite, mais ce fut un pur ravissement que de lire L’hiver au Canada.

    Merci Mabel, vous avez un réel talent et votre émerveillement m’a réconciliée avec le fait que nous n’avons pas encore rangé nos chauds manteaux d’hiver.

    Continuez !

    Danielle Laforest

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