Juillet 2011, ça y est, c’est décidé, mon mari et moi accompagnerons nos enfants en Inde à la fin de l’année.
Cela fait une vingtaine d’années que mon gendre, ma fille et leurs enfants s’investissent dans une association à Pondichéry, le Volontariat en Inde, créée il y a 50 ans par une Liégeoise, Madeleine de Blicq-Herman.
Etant enseignants tous les deux, ils s’y rendent en famille à chaque grandes vacances et depuis deux, trois ans également aux vacances de Noël. Le travail ne manque pas !.
Le 29 avril 2009, leur fils adoptif indien décède à 23 ans. La souffrance est immense pour eux, pour nous. S’inspirant de la pensée de R. Tagore : « La leçon la plus importante que l’homme puisse apprendre de sa vie n’est pas que la douleur existe mais qu’il dépend de lui de la transformer en joie », ils font construire une maison dans un quartier très défavorisé de Thengaithittu (en français : le village des cocotiers) dans la banlieue de Pondichéry. Un jeune couple d’Indiens (Senthil et Giridja) anciens enfants parrainés du Volontariat, très motivés, désireux d’aider les enfants de leur village, acceptent d’en assumer la gestion au quotidien. Une école des devoirs et une crèche voient le jour. La maison s’appelle Sandesh Illam (la Maison de Sandesh) du nom de leur enfant décédé.
Nous sommes impatients de rencontrer tous les visages souriants de ces enfants que nous avons appris à connaître à travers toutes les photos ramenées de là-bas. Les petits de la crèche sont vraiment craquants ! La maison tourne bien, une cinquantaine d’enfants viennent à l’école du soir. On a trouvé deux enseignants pour les encadrés, un professeur de yoga et même un professeur de danse. La vie du quartier est plus souriante, moins sauvage pour ces enfants, les mamans s’impliquent aux réunions de parents. Les conditions de vie sont toujours difficiles, pauvres, pénibles mais l’espoir est là. A l’inauguration de la Maison, des enfants ont dit « on n’avait jamais rien fait pour nous ».
Nous arrivons donc après un bien long voyage et l’accueil est merveilleux : des visages illuminés de grands sourires radieux, ma fille et moi recevons chaque jour des fleurs à épingler dans nos cheveux ! Arrivés le dimanche,tout va pour le mieux jusqu’au mercredi. Dans la journée des bruits circulent : un cyclone est annoncé pour jeudi 29.12 à 4 h du matin. Les Indiens n’ont pas l’air trop effrayés, ils ont l’habitude de leur météo. Et comment pourraient-ils protéger leurs maisons ? Elles sont le plus souvent constituées d’une seule pièce avec des murs de 50 cm de haut sur lesquels se dressent un toit en pointe fait de branches de cocotiers, bref des huttes.
Nous allons donc dormir comme d’habitude dans le petit appartement au premier étage, au dessus de la classe-crèche. Tip, top à 4 heures du matin, nous sommes réveillés par des bruits énormes de pluie furieuse, de bourrasques de vent, de « choses » qui claquent, craquent, volent. Nous n’y voyons rien, il fait nuit noire, plus d’électricité dans la rue. C’est effrayant. Nous craignons que la réserve d’eau filtrée et le générateur sur le toit-terrasse ne cèdent à la tempête. Je pose les pieds au sol, ils sont dans l’eau ! Au premier étage ! La pluie s’infiltre avec violence à travers les châssis des fenêtres fermées. Nous épongeons des seaux et des seaux d’eau.
L’inquiétude grandit, grandit. Nous sommes dans un bâtiment en dur qui grince déjà pas mal mais le village si fragile ? Que deviennent « nos » enfants ? Que faire ? Impossible de sortir, on n’y voit goutte et des arbres et autres débris tombent de partout.
A 6 h 30 le jour se lève mais il fait très très sombre, le vent hurle, la pluie est intense. Les cocotiers encore debout ploient dangereusement sous les bourrasques, les autres entravent les rues. Les villageois affolés, trempés, courent partout, se comptent, s’entr’aident. Pas de morts dans notre quartier, seulement une jambe cassée, mais une quarantaine de morts tout de même pour la région de Pondichéry.
Mon gendre et Senthil parcourent le village à la recherche des enfants, les ramènent à Sandesh Illam ainsi que nombre de personnes âgées et de femmes. La grande hutte du jardin (chez nous, on dirait le préau) s’est écroulée. Nous abritons une centaine de personnes dans la classe. Les enfants se collent à nous, leurs grands beaux yeux remplis d’angoisse. Ils ont froid, sont trempés. Ils sont habitués à au moins 35° et 15 de moins est une rude épreuve.
Il faut maintenant trouver de quoi nourrir tout ce monde. Nous tartinons les quelques pains-toasts qui nous restent et chacun reçoit...1 cm2 de pain ! Nous n’avons rien de plus. Senthil, toujours aussi volontaire, efficace et débrouillard, enfourche sa moto, contourne comme il peut les routes encombrées d’arbres, poteaux électriques et débris divers et nous ramène de quoi nourrir les villageois.
La pluie se calme enfin, la tempête s’apaise, un soleil pâle apparaît. Le constat des dégâts est accablant, désastreux. Les gens n’ont plus rien. Sur ce qu’il reste de leur « maison » ils font sécher quelques vêtements et des livres scolaires. La solidarité s’installe dans la journée mais le soir il reste encore 57 personnes qui n’ont pas où dormir. Nous les gardons dans la classe (5mx7m). Les Indiens ont besoin de peu de place pour dormir, ils s’allongent sur le sol les uns à côtés des autres. On peut caser tout le monde. Cette situation durera encore quelques jours, le temps de trouver des bâches pour couvrir les maisons les plus endommagées.
La vie reprend progressivement, l’électricité revient petit à petit, rue après rue, accueillie par d’immenses cris de joie. Les ados de Sandesh Illam ont été exemplaires de solidarité. En une demi-journée, sous la houlette de Senthil, la hutte croulante fut démontée, les débris rangés ne laissant que la dalle en béton bien propre !
Les enfants avaient préparés pour tout le quartier des chants, du yoga et des danses pour fêter la nouvelle année. Impossible évidemment sans électricité. Qu’à cela ne tienne, c’est à la lumière d’un feu de camp sur la dalle que nous avons réveillonné. Et quel réveillon ! Des sourires renaissent, les grandes filles dansent et chantent. Nous étions peu nombreux mais toute l’humanité de cette soirée me remonte au coeur et c’est avec des larmes d’émotion que je termine ce récit.
Le cyclone s’appelait Thane.
anne-marie F. Répondre
Merci Lucienne, je me mets bientôt en communication avec vous et avec Madeleine ; je suis vraiment heureuse d’avoir de ses nouvelles bien que j’aie entendu parler d’elle souvent mais toujours en termes très vagues.Son histoire est tellement extraordinaire quand on l’a connue à 20 ans , si fragile ! Quel espoir dans la vie ! et pour les malades ! Moi ça me fait vriment du bien de savoir qu’ele existe. anne-marie