Un, deux, trois mails envoyés coup sur coup dans l’unique but de nous faire réfléchir et de nous encourager à nous préparer à ce que sera notre futur d’ici quarante ans. Sans aucun doute, selon ceux-ci, un pays dirigé par un régime islamiste soumis à la Charia.
C’en est trop ! Surtout quand on sait que cela vient d’un « ami » qui roule mensuellement avec nous à vélo. Oui, notre irritation première prend la couleur de l’indignation, sentiment propice à ne pas laisser ce geste sans réponse. Outre le fait d’attirer, par retour de courrier, l’attention de notre correspondant sur, tantôt le manque de sources crédibles, tantôt la personnalité de l’expéditeur, un avocat pointé par l’Ordre pour malhonnêteté et membre du FN, nous décidons d’être plus créatifs en cherchant une solution qui orienterait notre groupe vélo vers une réflexion sur le mieux vivre ensemble à Bruxelles.
Trouvé ! Nous les conduirons à Molenbeek pour un tour de 22 kilomètres au sein de la commune. La découverte est préparée avec soin. L’histoire nous servira de fil conducteur. Figure de proue de la révolution industrielle, nous retrouverons les vestiges de celle-ci au coeur du Bas Molenbeek : anciennes minoteries, la fonderie, usines de tabac, débris des premières locomotives, bains publics toujours d’actualité mais créés au temps des masures agglutinées sur quelques ares. Regard orienté sur le Petit Château inauguré peu après notre indépendance pour protéger la ville de cette rive gauche mouvementée où manifestations et grèves se répétaient périodiquement. Dynamique revendicatrice et solidaire excellemment bien rendue par le peintre Eugène Laermans, originaire de Molenbeek. Ainsi, de coup de pédale à coup de pédale, nous amènerons le groupe vers les premières améliorations sociales via les logements de l’architecte Diongre et les Cités Jardins, tous situés au-delà de la gare de l’Ouest. En effet, le Bas Molenbeek gardait les plus déshérités. Ainsi, dès les Golden Sixties, les Marocains y ont supplanté Belges et Italiens. S’ajoutèrent ensuite un grand nombre d’illégaux. Afin de plonger dans cette réalité d’aujourd’hui, nous prévoirons une fin de visite sous la houlette d’Aïcha, habitante de ce quartier et que nous avions eu l’occasion de connaître comme guide bénévole lors d’une journée sans voiture.
Le dimanche réservé pour cette activité arrive. Plus d’un membre décline l’invitation et ce pour des raisons variées. Sans hésitation, nous remplaçons les absents. Les uns enfourchent leur vélo depuis leur domicile, les autres mettent leur bicyclette dans le métro jusqu’à la station Sainte Catherine. Souffrant du dos, je fus de ceux-là. Et voilà que montent dans la rame deux femmes totalement voilées. Hormis les yeux pour l’une, les yeux compris pour l’autre. Les voyageurs se retournent, mi effrayés mi hostiles Volubiles, elles parlent entre elles du bien fondé de leur tenue et se montrent fières et insensibles au regard de tous. Je suis outrée d’une telle désinvolture. Savent-elles qu’elles font ainsi le jeu des islamophobes ? J’étais prête à le leur dire mais elles étaient trop éloignées de moi. Notons que leur français était impeccable. Pas l’once d’un accent. Serait-ce des Belges converties ? Après cet envers du décor, l’endroit se pointe aussitôt. A la sortie du métro, trois Marocains nous aident à débarquer les vélos. On retrouve dans leur geste tout le naturel berbère, aimable et attentif à l’autre. Nous voilà affranchis de l’image sombre que venait de donner la présence musulmane dans notre ville.
Avant de franchir le canal, un mot d’introduction sur la randonnée. Occasion pour moi de dire que Molenbeek est ma terre d’adoption grâce au Coup de Pouce offert depuis dix ans dans une école à discrimination positive. L’intérêt du groupe pour la vie socio-économique, passée et actuelle, est manifeste. Plusieurs participants disent découvrir un coin de Bruxelles où ils ne se rendent jamais. Loin d’être désertes, les rues offrent une foule bigarrée et vivante. L’étonnement devant cette animation est occasion de rappeler que le dimanche n’a pas, chez les Musulmans, la même connotation culturelle que chez nous, Occidentaux.
Quand Aïcha nous rejoints, d’emblée elle est accueillie tant sourire et dynamisme font partie de sa personne. Puis comme nous, elle a son vélo et son petit gilet fluo. Avec elle, nous parcourons le cœur du Bas Molenbeek et avons ainsi l’occasion de voir la maison de son association, le centre culturel, dénommé Centre des cultures et de la cohésion sociale où Aïcha nous dit qu’elle y fait du théâtre, l’église Saint Jean-Baptiste, première construction en béton d’Europe, que l’un d’entre nous avait pris pour une mosquée malgré la croix au sommet du clocher, la très commerciale chaussée de Gand où vendeurs et clients affluaient et enfin une importante mais discrète mosquée. Un vrai bain arabo-musulman. Avec gentillesse, notre guide répond à nos questions. Nous apprenons qu’elle est de la deuxième génération, son père ayant travaillé à la mine dans le Borinage. Elle est mariée et a trois enfants. Couturière de formation, elle se passionne pour les secondes vies qu’elle peut donner aux vêtements. Actuellement, elle travaille dans le secteur associatif. A la fin du tour, elle nous communique son envie de reprendre son vélo pour découvrir, avec nous, les communes que nous habitons, au Sud de Bruxelles. Après un chaleureux merci, elle nous embrasse tous, hommes et femmes sans exception.
L’expérience haute en couleur a favorisé plus d’ouverture vis-à-vis de l’autre différent. D’autre part, nous avons entendu le souhait d’Aïcha de se faire inviter dans les communes vertes de Bruxelles. Au printemps, lors de la reprise de nos activités cyclistes, nous organiserons très certainement une visite d’Auderghem avec une boucle dans la forêt de Soignes où nous lui proposerons d’être des nôtres avec sa famille, voire avec l’une ou l’autre amie. Juste retour ! Quant aux absents, ils pourront ainsi poursuivre avec nous ce parcours d’ouverture et compléter leur connaissance sur le monde maghrébin. Inch Allah !
Anne-Marie N Répondre
Je suis née à Anderlecht. 75 ans plus tard j’y vis toujours.
Vous m’avez fait du bien. La vie a complétement changée mais celle d’aujourd’hui a ses charmes et ses moments heureux. J’ai des voisins qui viennent de partout mais ils sont charmants. Je les apprécie. Je leur rends de petits services et eux m’entourent de leur gentillesse.