Les mots lui viennent, vont et reviennent encore. Ils se bousculent comme ces petits enfants affamés devant la manne salvatrice venue ils ne savent d’où. Les mots se bousculent, la submergent, la débordent même. Pourra-t-elle y mettre de l’ordre ? L’ordre, mais quel ordre ? Ces mots, ces phrases, ces souvenirs, très souvent tronqués, sont emprunts de douceur, de violence, de peur, d’amour ou de non amour, d’espoir, de désespoir.
Par où et par quoi va-t-elle commencer ? Sonia, ne parvient pas à saisir le moment où sa vie a commencé. Bien sûr, lui diriez-vous, par ses parents. Aurait-elle là, posé la première pierre de son édifice ?
Cirénus, le père de Sonia est l’aîné de cinq enfants. Lui succèderont deux sœurs et deux frères. Enfant de la guerre, il connaîtra sûrement les manques même si, à des kilomètres des points stratégiques où se déroule celle-ci, les chars ne se feront pas entendre.
Des parents de son père, Sonia ne connaîtra que la mère au nom enchanteur de Vermeille et quelques sœurs de celle-ci. Bonne-Maman, c’est ainsi que Sonia et ses frères et sœurs ont pris l’habitude de l’appeler. C’est un petit bout de femme énergique et courageuse qui n’a pas eu la chance de garder un mari ou un compagnon auprès d’elle. Elle en aura eu deux au moins. Ici, dans le pays de Sonia, en Martinique, souvent les mères élèvent seules leurs progénitures, les hommes sont volages et infidèles.
Sonia se souvient de la maison où Bonne-Maman Vermeille a vécu longtemps et où elle a passé ses derniers jours. Une petite maison, toute de bois à l’exception de la tôle qui lui servait de toit, dont les sols étaient faits de terre battue, sans eau ni sanitaire. Une grande fosse creusée au fond du grand jardin fait office de toilette et, pour la nuit, un baquet en émail blanc qu’elle allait déverser, le matin venu. Avec le temps, Bonne Maman vieillissant, un petit cabinet de toilette avec une douche et un w-c sont venus lui faciliter la vie et celle de ses petits-enfants.
A l’extérieur, accolés à la maison, de vieux bidons servaient de réserve d’eau de pluie, celle-là même qui servait pour la toilette, pour l’entretien de la maison et surtout, à l’arrosage des plantes et fleurs qui lui étaient si chères. Mais pour ce qui était de l’eau à boire, ou de celle devant servir à la cuisson des aliments, Bonne-Maman Vermeille allait chercher l’eau à la fontaine qui se trouvait en contrebas de la maison, au bord de la route. Elle transportait cette eau dans de grandes jarres soigneusement déposées sur un coussinet qu’elle portait sur la tête. Un vrai ballet coloré pour les yeux, toutes ces femmes et jeunes enfants venus récolter l’eau nécessaire pour tous les services de la maison. Quelle belle occasion aussi de prendre des nouvelles des voisins, de se saluer, de « baye milan » comme on dit au pays !
La chambre de Bonne-Maman Vermeille était très rudimentaire ; de vieux vêtements soigneusement assemblés en gros coussins plats et étalés sur un lit en fer formaient sa couche qu’elle rafraîchissait chaque matin en la secouant au dehors et réchauffait aux rayons du soleil. Un christ en croix sur le mur, au dessus de la tête de son lit lui donnait le courage et la force dont elle avait besoin chaque jour.
Bonne Maman Vermeille était très pieuse et très croyante. Elle allait tous les dimanches à la messe. Comme elle était belle dans ses apparats du dimanche ! Sa grand’robe qui laissait apercevoir un grand jupon en broderie blanche qu’elle rattrapait délicatement d’une main sur le côté, ses beaux souliers noirs, ses cheveux attachés en chignon sous son chapeau, ses anneaux et ses colliers choux, sans oublier son sac à main qui abritait soigneusement sa bible et son chapelet lui donnaient un petit air de grande dame.
La maison de Bonne Maman aurait du être la maison du bonheur, située à la campagne, à quinze kilomètres de la capitale, Fort de France, à quelques deux kilomètres du bourg de Mont-Gros, dans un quartier nommé « Quartier Flamboyant », du fait même qu’il était fleuri de magnifiques flamboyants rouges. Un véritable ravissement pour les promeneurs ou les voyageurs qui empruntaient cette route pour rejoindre les communes voisines ou la capitale.
Perchée sur un morne, au milieu de ce que l’on aurait pu appeler un vaste jardin botanique, on y trouvait presque tout : arbres à fruits à pain, bananes à cuire, ignames, patates douces, dachines ou choux de chine, choux, topinambours, nombreuses variétés de bananes dessert, litchis, mangues, mangos, citrons jaunes, amers et verts pour le ti’punch, oranges, chadèques, ananas, pamplemousses, mandarines, clémentines, kumquats, maracuja ou fruits de la passion, caramboles, pommes-cannelle, mamain, abricots, sapotilles, pommes d’eau, cocotiers, goyaves, calebasses, sans compter toutes les variétés de fleurs comme des arums, rouges, fuchsia ou blancs, des roses de porcelaine, des six-mois-rouge-six-mois-vert (appelés ici fleurs de Noël), impatiens, et des plantes et herbes médicinales comme la menthe, la menthe glaciale, la verveine, le patchouli, la basilic et encore d’autres sans oublier le café et le poivre.
Parmi toutes ces espèces, certaines ne demandaient pas ou peu d’entretien. D’autres par contre requerraient tout le savoir-faire et l’amour de Bonne-Maman Vermeille. D’ailleurs, encore aujourd’hui, pour ceux qui peuvent s’en souvenir, on entend dire que Bonne-Maman Vermeille avait un don, celui de guérisseuse. De toutes parts du pays on accourait chez elle pour demander et trouver le remède, pour un mal au ventre, pour stopper une diarrhée ou une fièvre persistante, pour soigner les nourrissons, les jeunes enfants ou même les adultes.
Bonne-Maman Vermeille connaissait la nature et ses bienfaits. Elle vivait en symbiose avec elle. Le père de Sonia en garde quelques secrets, mais pour combien de temps encore ! De nos jours, les jeunes, il est vrai, ne s’intéressent plus trop à la terre, ils pensent que la vraie vie se passe à la ville.
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BONJOUR Josiane, ici jane, nous avons participé au même atelier...pourrais-tu m envoyer les photos de la derniere reunion sur le bateau ?souvenirs, souvenirs, vous aurez bientot de mes nouvelles pour se revoir...
jane.danlois telenet.be merci