A Palermo, il existe trois marchés en plein air ouverts quotidiennement : il y a « il mercato di Ballaro », « il mercato della Vucciria » (antiquaire) et « il mercato du Capo ». Il s’agit de marchés principalement d’aliments frais : fruits, légumes, viandes et poissons.

Vucciria signifie « bordel de bruits », vociférations tous azimuts. J’aime ce bordel de bruits et l’engouement de ces vendeurs à vendre leurs produits. Ils vantent leurs marchandises en criant et hurlant en sicilien. Vous ne pouvez pas y échapper. Ces bruits résonnent en moi comme un folklore humain et dévastant.

Comment vous décrire le goût réel d’une tomate nourrie et ventilée au soleil sicilien ?

Il y a aussi les oranges et les citrons ; dès lors on parle de « Conca d’oro » pour exprimer la superficie de terres remplies d’oranges et de citrons. D’ailleurs, le drapeau sicilien est un rectangle formé de deux triangles : un jaune comme le citron et un autre, orange comme l’orange. Dans son centre, règne la « trinacria ». Elle représente une tête de femme et ressemble à la tête de la Méduse grecque ailée avec trois jambes dirigées en cercle vers la gauche. Ces trois jambes représentent les trois cultures qui ont fait la Sicile : la grecque, l’arabe et la chrétienne. D’autres sources disent qu’il s’agit des trois mers qui entourent la Sicile : la mer tyrrhénienne, la mer ionienne et la mer méditerranéenne.

Le siège de ces marchés se trouve dans des quartiers anciens appartenant au peuple. Les boutiques se regardent l’une l’autre, dans des ruelles escarpées, laissant juste la place nécessaire pour faire passer les passants qui eux n’ont pas d’autre choix que de se laisser balader par le rythme des odeurs aromatisées et des vues bercées par les couleurs de la terre : vert légume, orange orange, jaune citron, rouge tomate, mauve raisin et figue, rouge comme les figues de barbarie, bleu « del pescespada ».

Tout cet étale résonne de fraîcheur. Qui n’a jamais goûté des glaces faites maison avec l’expérience centenaire d’un artisan qui a bâti son quotidien avec amour et patience ? Ma glace préférée est « il gelato zuppa inglese », « soupe anglaise » faite avec des brins de fruits confits et du rhum raisin. Puis il y a « la panna », on pourrait parler de crème fraîche mais c’est un peu plus que cela. Le goût du lait comme de la viande a une autre texture.

En dehors des marchés quotidiens, il y a les démarcheurs qui parfois ne sont pas légaux et se positionnent au détour de ruelles afin d’étaler leurs produits du terroir. Les démarcheurs se déplacent souvent grâce à une camionnette type vespa : deux places à l’avant et un plateau à l’arrière avec ou sans toit en simple tôle. Ils vendent souvent des légumes et fruits qui ont été cultivés et travaillés par un autre membre de leur famille. La ménagère se régale à leur vue car ils amènent des produits frais, que l’on appelle actuellement « bio », ces verdures qu’il est difficile de trouver sur le marché bruxellois mais qui se sont retrouvées progressivement sur le marché de la gare du midi : bettes, aubergines demoiselles, cardons et autres que je n’arrive même pas à traduire.

Il y a aussi le boulanger qui déteint sur la rue une odeur de four alléchante. Il faut dire que la farine utilisée en Sicile est du type 00 et que, du temps des Grecs, la Sicile qui appartenait à la Grèce, représentait le grenier à blé de celle-ci. La farine à Bruxelles a une autre odeur, un autre goût, une autre texture. C’est à Bruxelles que j’ai mangé ma première tartine. Avant, je ne savais pas que cela existait.

En Sicile, chez le boulanger, vous pouvez trouver des « encas », qui ressemblent à des morceaux de pizza, mais aussi des petits sandwichs à la façon sicilienne et certains biscuits exclusivement à base de farine et de sésame. Même si le beurre et la margarine se trouvent dans des petits supermarchés, moi, avant de venir en Belgique, je n’avais jamais mangé ni beurre ni margarine de ma vie.

Mais jamais au grand jamais vous ne trouverez des tartes ou des gâteaux chez le boulanger. Le mot « tarte » résonne aux oreilles du Sicilien comme un terme « inférieur » dans sa terminologie.
En effet, c’est chez le pâtissier uniquement et exclusivement que vous trouverez des gâteaux comme la « cassata », « i canolli », la « marturana » ou encore au bar.

Le bar n’est pas le café, comme en Belgique, mais un comptoir où l’on boit principalement du café. Les clients restent debout, pendulant contre le comptoir. Les places assises sont très réduites et représentent un luxe qui fait virer le prix du café vers son double.

Probablement du aux us et coutumes et à la chaleur, en Sicile, le dessert est souvent sous forme de fruits. Mais le gâteau est roi lors d’événements importants tels les rites religieux ou folkloriques de la région. Lors du mariage, du baptême, de la communion, des fiançailles, les familles se réunissent et offrent leurs cadeaux, fréquemment des objets d’or ou de verre de prestige et goûtent « alla torta ». Celle-ci est faite avec une expertise, une volupté due à des années d’expérience. Très souvent elle contient une goutte d’alcool de type « Amaretto ».

Chez le boulanger vous trouverez, souvent au moment de Noël, de Nouvel An et de l’Epiphanie : la « marturana ». Il s’agit de massepain coloré qui représente des fruits ou des tomates : un vrai chef-d’œuvre ! Difficile de déceler le vrai du faux : la ressemblance avec les fruits est réelle et étonnante. Il y a quelque chose de magique, en cette période, à « zyeuter » les étales des pâtissiers, des cafetiers.

Que vous dire de plus ? Les mois d’été sont une période où les familles se réunissent dans leur maison de campagne. Elles y fabriquent notamment des conserves de tomates. Notre famille se réunissait chez « lo zio Nicolas » et là tout le monde était prêt à remplir son rôle dans la chaîne de travail. En effet, les tomates mûries au soleil et d’une candeur dermique tendre nous réunissaient pendant des jours.

La première tâche était celle de compulser la meilleure période de maturité de la tomate. « Lo zio Nicolas » se rendait très souvent au marché matinal de sa bourgade dans le village de sa maison de campagne, à Montelepre. Ensuite, certaines femmes essuyaient les tomates et écartaient celles abîmées, même légèrement, pour éviter toute éventuelle acidité lors de la conservation. Ensuite, un chaudron, en pleine terrasse sud, était rempli d’eau qui bouillonnait et actait le moment de déposer délicatement les tomates qui devaient subir deux courts bouillons. Ensuite, d’autres femmes, parfois des hommes, faisaient passer les tomates chaudes dans un cylindre pour en extraire un liquide nommé « la passata ». Il faut dire que ce travail était inconditionnellement interdit à toute femme en période de règles.

Ensuite venait l’embouteillage. Pendant l’année, des bouteilles de vin ou autres avaient été stockées, préalablement lavées, rincées, essuyées et laissées égouttées pendant un long moment avant de les laisser se reposer au fond d’une caisse en bois recouverte de torchon propre évitant ainsi à la poussière d’avoir raison. L’embouteillage s’effectuait directement en ayant eu le soin d’assaisonner la tomate passata avec du sel et du basilic essuyé. En effet, le basilic ne pouvait pas être lavé afin d’éviter la moisissure de la tomate pendant sa conservation. Le sel sicilien quant à lui, vient généralement de Trapani et est plus léger en goût et plus lourd en poids que celui de notre cuisine belge car il est plus humide.

On conservait aussi, sous l’huile, les artichauts et les olives ainsi que les anchois.

Zio Nicolas faisait son propre vin qu’il stockait dans le garage de sa maison de campagne. Un des vins de table sicilien s’appelle « lo zibibbo ». Que de fois je me souviens de mon père, m’envoyant au magasin de vin, au bout de la rue, pour aller lui chercher un demi-litre de ce vin. Il n’osait plus y aller lui-même car il avait trop de dettes envers cet artisan.

Actuellement, le grand acteur français, Gérard Depardieu, a acheté des lots de terrains pour produire « lo zibibbo » dans l’île de Pantelleria, une île majeure au sud ouest de la Sicile. Il s’agit d’un vin qui a un goût un rien sucré et qui pétille de légèreté. Parfois, en beaucoup mieux, il me rappelle « l’Asti ».

Lorsque vous vous trimballez dans les ruelles et qu’une petite faim vous vient, vous avez le choix d’aller dans une petite trattoria qui offre une panoplie de légumes et plats faits maison. Il est vrai que le mot restaurant n’a pas la même résonance qu’en Belgique. En effet, peu de gens vont au restaurant. C’est un truc plutôt pour le touriste ou pour les cérémonies. Mais beaucoup vont « alla trattoria » pour passer un moment en famille. La vraie cuisine est faite de celles des mères qui souvent restent à la maison et déploient une énergie de fierté à cuisiner des repas remplis de goûts et d’aliments sains. Il ne s’agit pas à priori de cuisiner mais de créer.

Il y a aussi ce qui ressemble à des « frites kots » : ce sont des comptoirs de ventes rapides de « pane e panelle » ou de « stighiolli » ou encore de « pane cu a meusa ». Les panelles sont faites avec de la farine de pois chiches. Elles sont confectionnées grâce à des moules, fins de quelques millimètres, d’où sort une petite galette rectangulaire au goût divin qui est servie avec une petite pincée de sel dans un panino (sandwich).
Le pain en Sicile doit être mangé le jour-même. Sinon, le lendemain, comme il devient trop sec, il est séché dans un linge en coton afin de le réduire à une chapelure de belle qualité.

* * *

En Belgique, je me plais à déambuler le dimanche au marché du midi depuis plus de dix ans. Certains marchands arabes me sont devenus familiers. Il est vrai que je déguste la crêpe marocaine. Unique en goût ! Il s’agit d’une crêpe faite normalement sans levure, assaisonnée au fromage et miel, ou au fromage, miel et olives, piquantes ou non, ou encore au fromage miel, olives et une panoplie de légumes : tomates semi-séchées, aubergines, feuilles de vignes farcies, …
Tout cela pour la modique somme de 1,5 à 3,5 €. Prix ridicule !
En plus, le fromage fait maison a un goût et une saveur unique.
Le thé marocain est fait de menthe, thé noir mais aussi d’absinthe.
Il y a une file parfois de plus de trente personnes qui attend d’être servis. Ensuite il faut avoir une petite chance de trouver une place assise. Un exquis moment de ma matinée …

Après, je me plais à déambuler dans ce marché, à me faire bousculer par ces personnes de tous horizons. J’aime ce plongeon de vie. Je me sens vivre. J’aime déambuler au marché de légumes. Il y a aussi le vendeur de fleurs que j’ai connu quand il avait à peine moins de quinze ans. Maintenant que son père n’est plus présent au marché, je l’observe tenir son étal avec son fils à lui et son épouse.

Il y a enfin, le marché de gâteaux siciliens ; je me rappelle du vendeur, avec sa vieille camionnette, ébaucher la vente de ses pâtisseries. Son fils, revêtu d’une casquette de coton blanc, l’accompagnait. On avait de la peine à l’entrevoir à travers la vitre étant donné sa petite taille.
Aujourd’hui, ce fils que j’observais à l’époque, a pris la relève et assure un travail professionnel dans sa camionnette rouge, comme neuve. Il n’ébauche pas une vente, il s’impose.

Ces gens font partie de moi sans même le savoir.

Alors que j’essaie de manger au maximum végétarien, je ne peux m’empêcher de m’empiffrer d’un sandwich à la moutarde accompagné d’un boudin noir ; là je reconnais mon appartenance belge !

Quand je suis seule, je continue ma course du marché vers la rue Haute et la rue Blaes. Quel plaisir à observer les vendeurs du Jeu de Balles qui déballent tous leurs objets insolites souvent intrigants.

Et puis comme je suis goinfre, je déguste une bonne soupe à la belge au coin d’un café rempli de gens attablés à des tables « vintage » ou en bois d’époque, qui s’extasient à écouter des mélodies du temps d’Edith Piaf.

Il y a aussi des magasins de vêtements « vintage » pour la plupart ou d’autres époques dans lesquels les artistes de théâtre vont s’approvisionner en vêtements d’époque. Tout est propre et généralement de matière noble comme le coton ou le lin. Je vous invite à y faire un tour car il y a des robes sublimes à porter.

Ensuite si le temps m’est permis, je déambule en suivant ma course jusqu’au Petit Sablon. Et là, si mes sous me le permettent, je déguste un petit gâteau avec un chocolat chaud ou un thé fumé « Laps Sang Souchong ».

Enfin, le soir souvent, je rends visite à ma mère qui habite à quelques rues de chez moi et qui vit seule avec ses 72 ans.

2 commentaires Répondre

  • Répondre

    Chère Salsa Divina, Je pars dans deux semaines en Sicile, dans la région de Palermo ! Je n’y suis jamais allée et votre description colorée, gouteuse, olfactive et odorante me met déjà l’eau à la bouche et des étoiles plein les yeux ! Merci, je suis déjà un peu en vacances ! Lucienne E.

  • J.K Répondre

    voilà un texte passionnant !

    je connais très bien les marchés couverts en Italie

    cette ambiance unique où les marchands semblent ne souhaiter que votre bien-être

    on y trouve une abondance incroyable de couleur et d’odeur
    de fraîcheur surtout car le client italien est très exigeant sur la qualité

    je fréquente parfois le marché du midi , pour l’ambiance
    le jeudi , celui de Molenbeek pour les prix

    mais aussi la foire du Midi pour ’les smoutebolle’ que j’adore

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