Ce texte fait partie du feuilleton de Nicole "Au fil des bulletins scolaires" Lire l’ensemble

Septembre : rentrée en rhétorique. J’ai comme titulaire, prof. de latin et grec Madame Genart, dame d’une grande culture, d’une profonde humanité et d’une patience à toute épreuve. Les latin-maths sont avec nous. Françoise est encore dans ma classe, quelle chance ! Par contre Colette est partie faire sa rhéto dans une autre école. Ecole qui propose aux élèves désireuses de devenir institutrices de faire la rhéto et l’école normale primaire en deux ans. Comme Colette rêvait de devenir instit, cette possibilité répondait bien à son désir.

Le 15 décembre de cette année, grande liesse en Belgique : notre roi Baudouin se marie ! La presse « people » se demandait quand cela allait arriver et écrivait qu’il allait se faire moine !! L’heureuse élue est une espagnole : Dona Fabiola de Mora y Arragon. Le mariage est bien sûr célébré en grande pompe et retransmis à la télévision…que nous n’avons pas. Je me contenterai des photos dans « Paris-Match ». Françoise me donnera une vraie photo du couple royal prise par son frère, reporter photographe, ce dont je suis très fière.

A la fin de ce premier trimestre, également en décembre, la Belgique est paralysée par une grande grève générale qui durera 5 semaines. Le gouvernement Eyskens doit absolument faire des économies pour boucler son budget (déjà ! !), et annonce des mesures d’austérité très impopulaires : impôts nouveaux, relèvements tarifaires à la SNCB, recul de l’âge de la retraite dans le secteur public, lutte contre les fraudes sociales. En décembre, le gouvernement veut faire voter l’application de ces mesures regroupées dans ce qu’on appelle la « loi unique ». Le secteur public se met immédiatement en grève, aussitôt suivi par le secteur privé. Il y a des manifestations. Les gens hurlent « loi unique, loi inique ! » Les affrontements avec la gendarmerie font 4 morts. Les grévistes menacent de saboter les installations ferroviaires, aussi l’armée dispose des soldats à tous les ponts pour les protéger. Comme plus rien ne fonctionne, les denrées se font plus rares. Un plus, la panique s’empare des particuliers qui font des provisions et vident les magasins. Le pays est tellement mal en point que le couple royal interrompt son voyage de noces et rentre précipitamment. Les grèves sont beaucoup plus suivies en Wallonie qu’en Flandres, où elles s’arrêteront plus tôt. Un leader syndicaliste wallon, André Renard, proclame que la Wallonie doit être maître de son économie….et fonde ainsi les bases du fédéralisme que connaîtra notre pays 30 ans plus tard. Finalement, malgré ces grèves, la loi unique sera votée début 1961 ! ! Tout ça pour ça ! !

Courant janvier, je reçois une invitation à un thé dansant chez mon oncle René à Namur. Je suis toute excitée, et un peu angoissée. C’est la première fois que je vais à une réunion dansante. Mammy (Maman) me confectionne une jolie robe virevoltante, très froncée à la taille, que j’adore. Nous allons passer le W.E. à Namur chez Bonne-Maman et Tante Lise ; je pourrai ainsi faire le trajet aller à pied et Papa viendra me chercher le soir. Il y a chez mon oncle une trentaine de jeunes, amis de mes cousins, et je suis toute fière d’être admise chez les « grands ». Nous jouons à des jeux, goûtons, et dansons très sagement, sous l’œil bienveillant, mais surveillant de mes oncle et tante. A 22 h., c’est fini, Papa vient me rechercher, heureuse et joyeuse. C’est ma première sortie de grande ! !

L’année scolaire continue. Au troisième trimestre la quasi-totalité des examens sont oraux. Je les préfère aux examens écrits : avec ce système, il y a moyen de défendre son point de vue et de changer de réponse si on sent qu’on fait fausse route. Mais quel stress ! ! L’heure qui précède l’examen se passe à vite réviser des matières sur lesquelles ont été interrogées les précédentes. C’est totalement inefficace, mais impossible de faire autrement.
A l’examen de latin, avec Madame Genart, je m’installe, toute tremblante, sur la chaise en face d’elle. Elle me dit alors, avec un sourire « Mais, Nicole, pourquoi êtes-vous si inquiète ? Vous êtes charmante, c’est-à-dire pleine de charme ! »
Ces paroles ont changé ma vie. A partir de ce moment j’ai commencé à avoir plus confiance en moi. Je me suis sentie réellement charmante. Un immense merci à Madame Genart. Elle ne sait pas tout le bien qu’elle m’a fait !

J’ai terminé mes humanités avec distinction ! !... et satisfaite de moi-même.

Le dernier jour, nous faisons nos adieux aux professeurs. Mademoiselle Landercy, prof. de maths me demande ce que je compte étudier. Quand je lui réponds que je suis tentée par les sciences économiques à l’ICHEC, elle me dit d’un ton dédaigneux « pfuit, pour être derrière un comptoir toute votre vie ?!?! » Je n’en ai cure et compte bien poursuivre mon idée. Pourtant Mammy m’incite très fort à faire la pharmacie « c’est tellement bien pour une femme, elle peut à la fois exercer son métier dans l’officine et s’occuper de ses enfants »

Pendant les grandes vacances, pratiquement toute la classe part en voyage de fin de rhéto : en Grèce. Nous prenons un train à partir de Bruxelles, traversant toute la Suisse, la Yougoslavie et la Macédoine pour arriver à Athènes 3 nuits et 2 jours plus tard, en 2ème classe, sans couchette ! C’est sportif ! Nous logeons et mangeons à la cité universitaire. C’est aussi très sportif ! La nourriture est exécrable. Vu le manque d’hygiène et la chaleur, nous attrapons presque toutes la tourista. N’empêche, les paysages sont magnifiques, la découverte des monuments grecs et de la culture in situ super intéressante. Nous avons comme guides et accompagnateurs Madame Genart, son mari et une autre professeur. Quand ce groupe de jeunes filles arrive quelque part, c’est la ruée de jeunes grecs en chaleur à la recherche d’une aventure. Les accompagnateurs ont fort à faire pour garder leur troupeau. Malgré la surveillance, 2 ou 3 élèves arrivent à découcher…Elles sont renvoyées en Belgique illico. On ne badine pas avec la vertu ! !
Nous visitons Athènes, le Cap Sounion au magnifique coucher de soleil. Nous faisons le tour du Péloponnèse en car, passons par le canal de Corinthe, jouons une pièce grecque au théâtre d’Epidaure (enfin, quelques petits extraits !). Nous prenons le bateau, classe pont – c’est-à-dire sans siège ni bien sûr couchette – et dormons par terre. Après une nuit dans des conditions spartiates (normal, on est en Grèce !) nous accostons à Myconos. C’est l’émerveillement. Le ciel est d’un bleu profond, la mer encore plus et toutes les petites maisons blanches semblent chanter la beauté du site ! Nous visitons ainsi ce pays splendide pendant 3 semaines et rentrons en Belgique affamées, épuisées et le cœur rempli de toute cette beauté et de la camaraderie du voyage. Sur le quai, avant de se séparer nous chantons le traditionnel « ce n’est qu’un au revoir ». J’essuie furtivement une petite larme, et je ne suis pas la seule.

Nous sentons bien qu’une page de notre existence se tourne…

1 commentaire Répondre

  • Ginette Bernard St-Pierre (Fleur de mer) Répondre

    J’ai adoré ce teste et c’est une parole bien dite qui peut
    nous ranimer.
    Il y a dans les textes de cette auteure un humour que j’adore et surtout une belle description des ses émotions.
    Bravo !

    En ce qui me concerne, mon professeur d’orthographe,(et oui
    à 59 ans j’ai encore besoin de réviser)m’a dit OSE et depuis cette parole, c’est ce que je fais de plus en plus.
    Bonne Journée,
    Ginette Bernard St-Pierre (Fleur de mer)

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