Ce texte fait partie du feuilleton de Nicole "Au fil des bulletins scolaires" Lire l’ensemble

Les Parents ont loué une villa en face de la mer à Boulouris (près de St. Raphaël) pour tout le mois de juillet. Mammy (ma maman) – qui avait déjà passé des vacances dans le Midi - nous promet un temps magnifique : du soleil en permanence, une eau chaude, des baignades à n’en plus finir….Elle nous confectionne des robes « bain de soleil » avec des maillots assortis ; et pour moi un bikini.

Fin juin nous remplissons une malle en osier fermant avec une barre en fer et un cadenas. Nous y mettons des draps, nappes, vêtements, couverts (non compris dans la location), draps de plage, jeux, etc…pour 8 personnes car nous partons avec notre bonne, Christiane. Papa conduit cette malle à la gare du Midi et la fait expédier en train. Elle nous attendra à la gare de St. Raphaël.
Le 30 juin au soir, nous prenons le train de nuit qui nous mènera directement à St. Raphaël, sans changer à Paris. Malgré la malle envoyée à l’avance, nous sommes lourdement chargés. Toute la famille occupe un compartiment de 1ère classe pour 6 personnes. Christiane voyage de son côté en 2de classe. Comme les couchettes coûtent cher nous voyageons assis, sauf Nel qui, à 1 an, bénéficie encore de la nacelle de sa voiture de bébé. Que cette nacelle est encombrante ! Nous essayons de dormir tant bien que mal en s’appuyant les uns sur les autres.

Le lendemain matin un soleil resplendissant nous attend à St. Raphaël. Nous prenons un petit déjeuner à la gare puis 2 taxis jusqu’à Boulouris. Installation, courses au village, repas, et enfin baignade dans la mer. La plage est juste en face de la maison. L’ennui est qu’il faut traverser la route et nous ne pouvons pas le faire sans un adulte ! Le lendemain, gros orage, pluie, vent ; je commence à douter de l’omniscience des parents qui nous avaient promis un temps magnifique en permanence.
J’ai 12 ans, et c’est la première fois que je me demande si les parents, et les grandes personnes en général, savent vraiment tout…

Après une semaine, Papa, qui n’a pas assez de congé, rentre en train à Bruxelles, y reste 2 semaines puis nous rejoint à Boulouris pour la dernière semaine de vacances. Nous passons des vacances merveilleuses, agrémentées de quelques coups de soleil – en ce temps on ne parle pas encore de mélanome malin – nombreuses baignades, quelques visites, notamment aux arènes de Fréjus où Nadette prétend avoir retrouvé un bout du cigare de Jules César et leçons de natation données par Papa aux plus jeunes. Tout a une fin : le 31 juillet, retour en Belgique ; envoi de la malle en osier qui arrivera quelques jours après nous à la gare du Midi, embarquement dans le train de nuit et arrivée à Bruxelles le lendemain matin.

En août de cette année 1956, le 8 vers 8 h. du matin, la Belgique est endeuillée par un accident à la mine du « Bois du Cazier » à Marcinelle, près de Charleroi. Un incendie s’est déclaré au fond du puits et s’est rapidement propagé dans la mine. Le bilan de la catastrophe est terrible : 262 morts et seulement 13 rescapés ! Un sauveteur italien, à la fin des recherches a prononcé ces paroles affreuses restées longtemps en mémoire : « tutti cadaveri ! » La population est sous le choc. Dans toutes les familles c’est l’émotion, les veillées de prières, la solidarité, des dons divers, et surtout une prise de conscience de la dangerosité du métier de mineur. Suite à cette catastrophe plusieurs lois seront édictées pour améliorer la sécurité sur les lieux du travail.

Rentrée des classes en 5ème gréco-latine chez Mademoiselle Baets. C’est elle qui nous donne latin, grec, français et histoire. Les cours de religion sont donnés par Mère Elisabeth. Dès son premier cours, je deviens sa chouchoute et reçois une « citation d’honneur » car j’ai trouvé la réponse à sa question : « pourquoi le latin est-il encore vivant ? » « Parce que c’est la langue encore utilisée au sein de l’Eglise, pardi ! ». J’en suis toute fière ; fierté qui diminuera au cours de l’année quand je constaterai qu’elle donne des « citations d’honneur » pour un oui et pour un non.
J’éprouve une véritable flamme pour ma titulaire ; je l’adore. Elle est douce et bonne. Je l’aime tellement que, ayant appris son adresse, rue Markelbach, je fais le trajet à pieds un samedi après-midi (l’abonnement de tram n’est valable que pendant l’horaire scolaire) jusque chez elle uniquement pour contempler sa maison…Cela m’a pris une demi journée !

J’aime mon prof principal, mais je n’aime pas le travail scolaire.
Il faut dire que l’année précédente je n’ai quasi rien fichu et j’ai perdu l’habitude d’étudier. Je préfère de loin lire, lire et lire encore, de préférence en suçant un bâton de chocolat côte d’or au lait. J’étudie dans ma chambre et quand j’entends un pas dans l’escalier, vite je cache mon livre et le chocolat et prend une attitude d’élève sage et studieuse.
Avec un tel manque de travail, bien sûr, mes bulletins hebdomadaires sont devenus médiocres.
Et quand, aux vacances de Noël, je rentre à la maison avec seulement 67%, c’est l’explosion de colère chez Mammy qui me jette sans ménagement dans l’escalier de la cave. J’y resterai jusqu’au retour de Papa. Il vient me chercher le soir, l’air sévère, et me dit : « va dans ta chambre ; demain nous établirons un programme de travail. Si tu ne travailles pas pendant le trimestre, il faut compenser pendant les vacances ! »

Mes performances scolaires sont un sujet de frictions perpétuelles entre Mammy et moi. A mes yeux, Mammy y attache une importance démesurée et ne tient pas compte des autres aspects de ma vie, l’amitié, par exemple.

En 5ème latine arrive dans ma classe une élève que j’avais déjà remarquée l’année précédente dans la cour de récréation. Elle a de magnifiques cheveux longs et bouclés, est toujours très entourée, elle est joyeuse et rit beaucoup. Elle est interne, a plusieurs sœurs aussi à l’école et elles ont toutes un magnifique pull d’uniforme.
Et voilà, cette année elle est dans ma classe ! Au début, nous ne frayons pas beaucoup. Je crois qu’elle me trouve trop gamine. C’est Colette !
Se trouve aussi dans ma classe une autre élève, une meneuse, une audacieuse que j’admire beaucoup et à qui je voudrais ressembler. Elle aussi doit me trouver trop enfant car elle ne fait pas attention à moi. C’est Françoise !
Pendant toute cette année-là je fréquente surtout Marlyse qui a suivi la catéchèse avec moi l’année précédente et qui est auréolée de prestige aux yeux de Mammy car elle est première de classe. Il m’arrive de pouvoir l’inviter à la maison. Mammy espère ainsi qu’elle exercera une influence bénéfique sur moi.

Il y a de plus en plus de frictions entre Mammy et moi. Elle trouve que je suis paresseuse, que mes résultats sont lamentables. Elle n’arrête pas de m’interdire de me regarder dans un miroir. Je suis grande pour mon âge et elle répète souvent « qui est petit est gentil » ou encore « pousser comme une mauvaise herbe » ; ce que je prends pour des attaques personnelles, et me rend jalouse de ma petite sœur Nadette qui reste petite, elle ! !
Heureusement qu’il y a mon petit frère Nel. Parfois, le soir, je vais dans sa chambre contempler son sommeil. Je le trouve si paisible que cela me calme un peu.
Heureusement aussi que j’ai des amies : Françoise et Colette deviennent mes confidentes et je préfère de loin passer mon temps avec elles que rentrer à la maison…

L’aspect international du travail de Papa l’emmène souvent à l’étranger. Mammy l’accompagne quand le pays l’intéresse. Les parents demandent à ma Marraine ou à Tanty de venir gérer la maison et nous garder pendant leur absence.
Comme toutes deux sont âgées et un peu sourdes, nous en profitons pour faire en douce tout ce qui nous est interdit par les parents. Ainsi nous lisons au lit jusqu’à des heures impossibles, nous allons dans la chambre des garçons jouer à des jeux alors que nous sommes sensés dormir. Nous profitons de leur sommeil pour entrer discrètement dans leur chambre ; c’est très excitant de marcher dans la nuit en évitant de se faire entendre ! Nous prétendons mordicus pouvoir faire du patin à roulettes sur le trottoir, avoir l’habitude de manger une glace par jour, recevoir des bonbons comme « 10 heures », mettre nos beaux vêtements tous les jours, etc…C’est pendant ces périodes que je teste diverses expériences. Ainsi un jour, je prends un fil de fer, l’introduis dans un trou d’une prise, le recourbe et introduis l’autre bout dans le deuxième trou. Clap ! ! Toute l’installation électrique saute ! Et sur mes doigts, une ligne de brûlure là ou je tiens le fil. Tanty est effrayée, nous n’avons plus de lumière. Bien sûr je ne dis rien, prétends ne pas savoir ce qui se passe, prends l’air étonné. A ce moment les disjoncteurs automatiques n’existent pas ; l’installation est protégée par des fusibles en porcelaine blanche et Tanty a dû appeler un électricien pour rétablir la lumière.

Les « super marchés » n’existent pas encore. Mammy fait des courses tous les jours, chez l’épicier, le marchand de légumes, le droguiste, le quincailler, le boucher, le crémier, le boulanger ; chaque fois un endroit différent. Cela prend beaucoup de temps, d’autant plus qu’à force de faire les courses chez le même fournisseur des liens se créent et souvent la conversation s’engage : » comment va votre fille aujourd’hui ? » ou « comme je sais que vous les aimez, je vous ai réservé des jeunes carottes » (ce qui donne l’obligation morale de les acheter, même si on n’en voulait pas ce jour-là !). Toutes ces civilités augmentent encore le temps réservé aux emplettes.
A Bruxelles existe un magasin « l’Union Economique » situé dans le bas de la chaussée de Louvain, près de la place Saint Josse, pas trop loin de l’école. Il s’agit d’une coopérative d’achats des fonctionnaires qui vend à ses membres de la marchandise un peu moins chère qu’ailleurs. Aussi, une fois par semaine, je suis chargée de passer y acheter notamment du beurre, sucre et farine et mettre tout cela dans mon cartable. Ainsi, le receveur du tram ne voit pas que je ne reviens pas directement de l’école. Ces courses m’ennuient parce qu’elles m’empêchent de faire le trajet avec mes amies qui rentrent directement chez elles. De plus, c’est lourd !

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