En septembre 1955, grande étape pour moi, j’entre en 6ème latine ! A ce moment on compte les années d’études en descendant. On commence par la 6ème, puis la 5ème,…l’avant-dernière année est appelée poésie et la dernière, l’apothéose, rhétorique !
Donc, j’entre en 6ème latine chez Mère Marie Colette, titulaire, qui donne cours de latin, français et histoire. Nous sommes nombreuses en classe, +/- 35. Nous avons 9 heures de latin par semaine, 4 heures de français et 2 heures d’histoire. On a donc intérêt à bien s’entendre avec la titulaire !
Les parents attachent beaucoup d’importance aux résultats scolaires ; surtout Mammy qui en fait un objet de gloire personnelle et qui veut garder la tête haute lorsque sa sœur lui fait part des beaux résultats obtenus par nos cousins.
Gare à nous si nous n’avons pas de beaux points ! La barre est placée haut : 85 % en primaire. Si nous ramenons des notes insuffisantes nous sommes punis : privation de dessert, confiscation des jouets reçus à Saint Nicolas, obligation d’aller au lit avant les plus jeunes (l’ego en prend un coup !), travail supplémentaire à la maison, etc…
Comme nous avons un bulletin par semaine les parents peuvent suivre de très près le travail de leurs enfants.
Arrivent les examens de Noël, puis à la veille des vacances, le bulletin ! Catastrophe, je n’ai que 76 % ! Je suis pourtant 6ème de classe, mais je n’ose pas rentrer à la maison avec des notes pareilles ; Mammy va être furieuse ! Pendant tout le trajet du retour en tram je me creuse la cervelle pour trouver une parade. Je suis vraiment paniquée. Je ne vois qu’une solution : trafiquer mes points. Comment s’y prendre ? Je n’ai ni gomme ni stylo sur moi. Quand je suis partie le matin, je n’ai pas pris de cartable vu qu’il n’y avait pas cours. Je m’assieds sur un banc (et dans le froid !) au square Léopold II, perdue dans des réflexions amères sur ma triste vie et, soudain, à mon grand contentement, je vois ma petite sœur descendre du tram suivant. C’est elle qui va me sauver ! Je lui demande de rentrer à la maison, prendre mon cartable dans notre chambre et me le ramener sans que Mammy le sache. Je l’attendrai au coin de la rue de la Cambre. Elle me demande des explications auxquelles je réponds évasivement (j’ai appris plus tard qu’elle avait très bien compris), chipote un peu et enfin accepte de me rendre ce service. Quelques minutes plus tard elle revient ; mission réussie ! Elle retourne rapidement à la maison. Et moi, mon bulletin sur une tablette de fenêtre, la gomme dans une main, le stylo dans l’autre, je me mets allègrement des points supplémentaires. Un 18 sur 30 devient 28, un 11 sur 20 devient un 17, etc..Je fais des additions, des calculs de moyennes et quand j’obtiens 86 % et que je deviens 2ème de classe (pas la 1ère, cela aurait semblé louche !), je remballe mon matériel, rentre à la maison et montre fièrement mon beau bulletin !
Papa a bien relevé une erreur de calcul de moyennes, j’ai un peu tremblé mais même un professeur peut se tromper…
En tout cas, ce trucage valait la peine, Mammy est très contente de mes beaux résultats et les vacances de Noël se passent dans la bonne humeur générale.
A la rentrée du 2ème trimestre, les choses se compliquent : il faut rendre le bulletin signé à la titulaire et rétablir les notes officielles. Je re-gomme très soigneusement mes beaux points et réinscris mes vrais résultats. Mère Marie-Colette n’y voit que du feu ! L’ennui est que le problème se repose à chaque semaine. En effet, les points hebdomadaires sont inscrits aux pages du milieu et les résultats des examens à la dernière page. Comme j’ai très peur que les parents tournent la page pour se réjouir encore de mes beaux résultats, le samedi suivant, je re-falsifie mon bulletin en veillant bien à remettre les mêmes points que la fois d’avant. (Avec ce système, je fais d’excellents exercices de mémoire ! !) Le lundi, même opération. Un gros problème se pose au bout de 2 semaines : à force de gommer aux mêmes endroits, le papier menace de se trouer. Il faut absolument trouver une solution. Et voilà, ça y est, j’ai trouvé : je racle mes fonds de tiroir et achète à la procure un nouveau bulletin, tout vierge, prétextant que j’avais perdu le mien. Je dois le donner à Mère Marie Colette pour qu’elle le remplisse ; ce sera donc mon bulletin pour l’école. L’autre me servira pour la maison. Astucieux, n’est ce pas ? Je passe des heures et remplis de multiples pages à imiter la signature de Papa et j’y arrive tellement bien que même Papa n’y voit rien. Ainsi, tous les samedis je me concocte des points plus qu’honorables dans mon bulletin de maison que signe Papa et le lundi je rends à ma titulaire un bulletin officiel signé par moi-même.
Sûre de l’impunité et même des félicitations de mes parents, je ne fais guère d’efforts et je passe une année scolaire très cool quant au travail.
Mais quel stress ! !
A force de peu travailler, mes résultats sont devenus vraiment médiocres.
Je crains à tout moment une rencontre fortuite entre un des parents et un de mes professeurs et un bavardage intempestif qui ferait découvrir le pot aux roses. Ce qui a bien failli se passer d’ailleurs…
Le 6 mai je fais ma profession de foi. La coutume veut que le lendemain la communiante vienne habillée de sa belle robe, accompagnée d’un parent, se présenter à son école. Et lors de cette présentation il y a bien sûr rencontre avec la titulaire. Je suis vraiment dans mes petits souliers. Mammy va sûrement dire sa satisfaction de mes beaux résultats à Mère Marie Colette. J’arrive donc avec ma belle robe et Mammy dans la cour de récréation et je vois arriver Mère Marie Colette à notre rencontre. Je tremble de tous mes membres, je rougis, j’ai des sueurs froides, l’estomac qui se tord, des crampes au ventre, des jambes de coton, je désire m’évanouir, mourir même, immédiatement ! L’instant fatidique est là ! Après les salutations d’usage, Mammy dit, comme une évidence : « je suis sûre, ma Mère, que vous êtes très satisfaite des beaux résultats de Nicole. » Je vois le visage de ma titulaire s’allonger sous l’étonnement, elle s’apprête à répondre quand – ô miracle !- au loin arrivent M. M. – l’autre communiante de ma classe – et sa maman. Je commets une grossièreté, coupe la parole à Mère Marie Colette et crie « voilà M. et sa Maman ». Mammy et ma titulaire me regardent avec surprise, n’ont pas le temps de continuer la conversation que M. et sa Maman sont là. Mes sauveurs !! La conversation prend une tournure plus générale et nous ne parlons plus des résultats. Je suis sauvée ! Car je risquais gros : à coup sûr le renvoi, la honte pour la famille surtout pour mes deux petites sœurs qui auraient dû quitter l’école à cause de moi, et surtout la colère de Mammy et la réprobation de Papa.
J’ai eu tellement peur, j’ai tellement paniqué que je me suis juré de ne plus jamais trafiquer un bulletin.
jeannineK Répondre
eh bien !!! que voilà un exploit ! ! !
moi aussi j’essayais de copier la signature de mon papa mais les courbes de sa calligraphie en restaient inimitables
quant aux 35 élèves dans cette classe de 6ème latine, peut-on imaginer qu’il y avait pénurie d’enseignants... déjà ?