Nous revenons mon mari et moi des cliniques universitaires Saint Luc où Paul a dû faire des prises de sang. En effet, le vendredi suivant il a rendez vous avec le cardiologue pour le bilan des six mois après son opération. Me retrouver dans ce lieu où j’ai pendant un mois et demi, circulé tant et plus ne me plaît pas du tout, je suis même légèrement angoissée.
Pour rentrer, nous prenons le métro à Alma jusqu’à Montgomery où là le tram 7 nous ramènera à Uccle.
La rame arrive, je suis devant la dernière porte du tram la plus étroite, je monte. Une jeune femme s’engouffre en même temps. Nous nous coinçons. Je me dégage, elle avance accompagnée d’un retentissant « mais qu’est-ce que c’est que ces vieux là ». Irritée, je réplique « ils sont ainsi les vieux, ma chère ». Elle enchaîne : « les femmes enceintes aussi ». Rien ne laissait deviner cet état. Je m’assieds. Mon mari me rejoint, tout à fait inconscient de ce qui vient de se dire.
Cette jeune femme, accompagnée d’une amie, s’éloigne. Quelques arrêts plus tard, une place se libère près de nous, elles viennent s’installer. Et là , entre haut et bas, le monologue commence : « Putain, je vais pas la rater, celle là, j’te jure. » « Si jamais je la rencontre dans la rue, elle verra, je vais la massacrer. Je devrais la prendre en photo pour pas la rater » « Putain, elle est folle. » « Les vieux sont comme ça, ma fille » … Son amie corrige : « non, elle a dit « ma chère ». « Ma chère, ma chère, t’es sûre ? » « Ma chère, putain, elle est folle » « Elle a pas intérêt à broncher. » Je reste imperturbable. Un moment, j’enfile mes gants. Elle reprend de plus belle : « elle va descendre, je vais mettre mon pied, elle va tomber. » Un peu excédée je songe à sortir par une autre porte, puis, non, je ne veux pas avoir l’air effrayée, ce que je ne suis d’ailleurs pas. Elle continue ses imprécations ponctuées de nombreux « putain ». Elle demande à son amie : « tu vas m’aider hein ? » « Tu vas mettre ton pied ? » Et l’amie, superbe de répondre : « ah ! Non j’ai assez d’emmerdes comme cela, je veux pas avoir une mort en plus. » « Non, pas une mort, quelque chose à la tête ».
Je me lève le plus dignement possible (l’équilibre dans un tram est chose précaire) et, m’inclinant vers elle je lui dis : « je suis désolée de vous avoir bousculée, j’espère que vous abandonnerez tous vos mauvais plans vis-à-vis de moi et, je vous souhaite une grossesse très épanouie » Elle me regarde, elle est très jeune, très mignonne, tout à fait désarçonnée. Elle a souri avec en même temps une espèce de panique dans le regard, et puis comme voulant se justifier « Oui, mais vous m’avez appuyé sur le ventre » Mon mari à cent lieues de ce qui se passe, impatient, m’ordonne « avance », ce que je fis.
Pourquoi ce mini drame m’a-t-il tant marquée ? Je suis lasse d’être traitée de vieille par des adolescents ou de jeunes adultes. Je sais que mes 20 sont très lointains et que mes cheveux blancs , très blancs, me cataloguent tout de suite dans les « has been » mais ce que je supporte difficilement, c’est tout le mépris dont est chargé ce vocable… Pour me rassurer, je me rappelle que bien avant notre ère, un philosophe grec se plaignait déjà que les jeunes n’avait plus de respect pour les anciens. Rien de nouveau sous notre soleil. Et pour être tout à fait sereine, je me remémore la réplique pleine de gentillesse d’un collègue à qui je faisais remarquer que j’étais la plus vieille des enseignants rassemblés dans la salle des professeurs : « tu es peut être le plus âgée, mais sûrement pas la plus vieille » Merci, Luc.
Anne-Marie Répondre
Un sourire, un regard bienveillant et du répondant quand c’est nécessaire mais avec calme et précision, mes cheveux blancs me privilégient dans le métro enfin jusqu’à présent !
Amitiès