Toute la journée, Bonne-Maman a cuisiné ! Elle a préparé la pâte dans la matinée, elle l’a fait lever sous un linge propre et
maintenant, elle s’affaire autour de son fourneau.
La « cuisinière » ronronne de plaisir : une grosse masse de fonte, décorée de céramique bleue, qui rayonne sa chaleur intense
dans la grande pièce. Celle-ci sert de cuisine et de salle à manger dans le pavillon de mes grands-parents. Mon oncle Jules l’a
construit pour eux dans son grand jardin de la rue de Bruxelles à Genappe.
La température de la pièce doit atteindre les 26 ou 28 degrés ! Les odeurs et les vapeurs de la pâte des bouquettes saturent l’air
et nous font tourner la tête ! Luc et moi avons l’autorisation d’assister à la confection des crêpes ; quelle chance ! Il va en falloir
une montagne, car ce soir après la messe de minuit, c’est toute la famille au complet qui s’en régalera !
Ma grand-mère Bertha dirige les opérations, maman et elle s’activent autour du monstre ! Nous pouvons regarder, mais pas
approcher ! Toutes deux font fondre le beurre qu’elles déposent avec des cuillères en bois dans de grandes poêles en fonte ; il
grésille...Mum ! Ca sent bon, et lorsqu’il est fondu, elles font tomber dans la poêle, une louche de pâte, une vapeur parfumée
s’en échappe alors. C’est une pâte à crêpe plus épaisse que celle que nous connaissons, à la levure, aux raisins de Corinthe et, subtil raffinement, la veille de Noël on y ajoute du rhum. De temps en temps, nous recevons un morceau de bouquette ratée,
plaisir suprême, c’est encore meilleur de les manger avec les doigts !
Au fur et à mesure de leur fabrication, les crêpes viennent s’ajouter sur les plats que Bonne-Maman met au chaud dans les
ouvertures sur les côtés de la cuisinière. Pendant ce temps à vingt mètres de là, ma marraine Simone, la sœur aînée de maman,
prépare dans sa cuisine, avec ma cousine Claudine, le boudin aux pommes. Ce sont des pommes caramélisées qui
accompagnent du boudin noir de Liège, le tout cuit à la poêle.
Tout est prêt ! Nous aussi, dans nos habits de fête, je tourne sur moi-même pour voir ma jolie robe blanche garnie de smocks
roses virevolter sur mes bas blancs et mes souliers vernis. C’est Maman qui l’a cousue pour moi. Même mes cheveux tressés sont
relevés en couronne sur ma tête. Luc, sous sa casquette, est fier de sa nouvelle cravate, il a l’air d’un monsieur ! Nous piaffons
d’impatience, emmitouflés jusqu’aux yeux. C’est tout excités que nous partons pour la messe de minuit, nous formons presque
une procession. Il est onze heures et demie, il fait froid et le ciel est rempli d’étoiles ! La main dans celle de mon grand-père, je
prends garde à ne pas glisser sur les trottoirs givrés.
Dans l’église, nous sommes accueillis par les orgues et les chants de Noël. La joie est sur tous les visages. Nous chantons : « Il
est né le divin enfant » et bien d’autres chants populaires et religieux ! Nous sommes tous, jeunes et vieux unis dans une ferveur
unique en cette veillée de Noël de l’année 1953.
À la sortie de l’église, nous les enfants, courrons vers la maison ou nous allons nous gaver de bouquettes et exceptionnellement
ce soir là, d’un petit verre de vin chaud ! Plus tard, beaucoup plus tard, quand il sera l’heure d’aller se coucher, car nous avons
du mal à rester éveillés, du fond de notre petit lit, nous aurons encore la magie de Noël dans les yeux.

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