« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », comme chantait Aznavour.
En ce temps-là, le service militaire existait encore et nous étions en Allemagne, à Lüdenscheid, pour des périodes de deux mois sans retour en Belgique.
Les fêtes loin des siens, ce n’était pas vraiment apprécié mais on n’avait pas le choix.
En cet hiver ’56, la neige était tombée en abondance dans cette région.
Dans notre chambrée, nous étions 11 à partager le local. On avait décidé de faire contre mauvaise fortune bon cœur et de réveillonner ensemble.
Nous recevions de nos familles, tous les deux mois, un colis contenant quelques douceurs. Le partage était accepté par tous et nous savions à l’avance ce que chacun allait apporter. Donc, pas de problème en ce qui concerne la nourriture.
Pour les boissons, c’était plus compliqué car il nous était interdit de faire entrer dans la caserne des boissons alcoolisées. Mais le belge est débrouillard et nous y sommes parvenus.
J’avais entendu parler d’une messe de minuit à la collégiale de la ville et je pensais bien y assister.
La chambre était décorée avec les moyens du bord, nous avions même trouvé des petits chapeaux en papier du plus joli effet.
La fête battait son plein et à 23h30, je m’habillai en hâte pour rejoindre un ami d’une autre chambre et partir à la messe.
Le passage obligé par le corps de garde n’a pas posé de problème. Le froid intense de la nuit me réveilla et c’est d’un pas assuré que nous avons rejoint l’église.
Une foule importante se pressait dans les travées.
La messe fût grandiose : un orchestre au complet, une chorale mixte de plusieurs dizaines d’exécutants, une musique mozartienne, bref, un régal.
C’est alors que mon ami se penche discrètement sur moi et me dit :
" Tu as vu ton pied gauche ? "
Je me demandais où il voulait en venir et c’est alors, honte de ma vie que je m’aperçus que je n’y avais pas enfilé de chaussette !
Lui, hilare, ne savait plus comment cacher sa gaîté.
Cette messe de minuit, je l’entends encore aujourd’hui, mais je ne me souviens plus si le fait de n’avoir qu’une chaussette avait amélioré mon écoute.