Ce texte a été écrit en majeur partie par Claude T. lui même et mis en forme par Isabelle suite à une interview. Cliquez sur les photos pour obtenir des informations sur le contexte (source : wikipedia).
Les grèves de 60, un récit de Claude T., militant de la première heure
Je suis né le 11 mai 1931 à Angleur. C’était une commune essentiellement ouvrière qui faisait partie de ce qu’on appelait à l’époque la ceinture rouge de la Ville de Liège. Toute mon enfance, ma jeunesse et le reste de ma vie se déroulèrent dans cette région qui, lorsqu’elle éternuait, faisait trembler belles personnes et beau monde.
Durant la dernière guerre, la tasse de thé de « résistance » de ma famille ne consistait pas à chercher uniquement sa tartine… C’est d’ailleurs durant cette époque troublée que je devins un parfait gamin de rue. Un gamin de rue … oui, mais bien différent de ceux que l’on connaît aujourd’hui : je fus un gamin de rue à la fois honnête et indiscipliné. On peut y voir sans doute déjà les racines d’un attachement inconditionnel à la liberté d’expression.
Ma première grande grève
En 1950, jeune étudiant de 19 ans, j’entrai de plein pied dans ma première grande grève, sans aucune expérience, dans une province où ça bouillonnait de toute part. J’ai vu tous ces types en chemise bleue et cravate rouge… Je fus impressionné par la dimension de puissance et de générosité solidaire qui régnait dans cette gigantesque révolte. Alors je me suis dit « pourquoi pas moi ? » C’est ainsi que je suis entré comme militant aux Jeunes Gardes Socialistes. J’y suis resté jusqu’à mes 37 ans, limite d’âge statutaire d’un militant. Parallèlement, j’adhérai au Parti Socialiste Belge.
Durant ces années, j’assumai successivement, de manière non rémunérée et sans cumuls, les responsabilités de Secrétaire de la Confédération Locale des Jeunes Socialistes de la Ville de Liège, Président des JGS de la même ville, Président Fédéral de l’arrondissement du même nom et par la suite Président provincial des Jeunes Gardes Socialistes. Pour terminer, je fus élu Vice Président National et finalement Président National des Jeunes Gardes Socialistes et Socialistische Jonge Wacht de Belgique.
Dans cette lutte, le seul credo, c’était la solidarité
En 1960, dix ans après, je participai activement comme travailleur membre de la CGSP au déclenchement de la « grève du Siècle ». Ceux que je fréquentais journellement n’étaient pas des bobos …Ils n’entraient pas en politique pour la lutte des places …C’étaient tout simplement des militants de la lutte des classes.
Le démarrage de la grève au finish décrété par la CGSP fut quasi automatique et unanime tant la Loi Unique du gouvernement nous heurtait. La vie du pays commençait à vaciller mais nous savions qu’il fallait aller un pas plus loin, passer par la Grève Générale.
Il n’y avait plus de mineurs mais il restait ce qu’on appelait la division de fer, c’est à dire le secteur de la Métallurgie et Sidérurgie hainuyères et liégeoises.
Il fallait faire sauter ce maillon décisif, malgré les hésitations des directions syndicales.
C’est à l’aciérie de Seraing et celle d’Ougrée que l’agitation décisive débuta.
Le mécontentement plus que bruyant se manifestait devant et dans les locaux syndicaux réclamant la grève générale. Les permanents syndicaux hésitaient car ils n’avaient pas le feu vert de la « Centrale ». Les délégués et surtout les travailleurs eux-mêmes exigeaient une grève généralisée. Les aciéries avaient spontanément arrêté le travail.
La virulence de cette action fut telle que le père Mathot, permanent syndical métallo FGTB, qui tentait de calmer le jeu, évita de justesse la défenestration suite à l’intervention de nos militants, le tout appuyé à l’époque par nos camarades communistes qui n’étaient pas en reste. Même si nous ne partagions pas leur vision stalinienne de l’organisation, il y avait une unité d’action sur le terrain.
Le mot d’ordre : la grève au finish
A partir de ce moment, le mouvement s’accéléra à la vitesse grand V. Sur quelques 10 km, des deux côtés du bord de Meuse, une marée humaine grossissait à vue d’œil, jusqu’à s’étendre devant et dans les bâtiments de la FGTB au centre de Liège. La foule réclamait à la fois Renard et la Grève Générale… et elle fit des dégâts.
Renard n’était pas là mais, quelques jours après, quand la grève générale fut enfin proclamée, il fut bel et bien de la partie et resta jusqu’au bout un leader charismatique remarquable.
D’autant plus remarquable qu’il dut composer avec une aile droite syndicale qui ne lui fit pas de cadeaux, le fait que le Nord du pays ne fut pas été solidaire jusqu’au bout et la direction du Parti Socialiste qui était à cent lieues d’une volonté radicale, je puis en témoigner.
A l’époque, les militants JGS publiaient un journal « La Jeune Garde », imprimé au Journal syndical « la Wallonie ». « La Jeune Garde » titra en première page « Grève Générale au finish ». Le Journal « La Gauche » de même, mais la distribution des journaux fut bloquée sur un ordre de Renard hésitant. Malgré cela, les militants JGS passèrent outre. Ils se rendirent à l’imprimerie qui avait ses portes grandes ouvertes et avec la complicité des linos et des travailleurs des rotatives du journal « La Wallonie », ils sortirent les paquets. Des milliers d’exemplaires de « La Jeune Garde » furent donc diffusés tous azimuts dans la région.
L’action pratique était donc d’appuyer les grévistes d’une part en étant dans les assemblées, en y prenant la parole, et d’autre part en distribuant des tracts, en collant des affiches et en participant aux piquets de grève. J’ai participé aux piquets de grève devant les Guillemin, devant la Fabrique Nationale, devant le dépôt des trams et des trolley-bus à Bressou. C’étaient des points très importants : chemin de fer, moyens de transport en commun, Fabrique Nationale. La gare de triage aussi était immobilisée. A partir de ce moment là on avait bouclé la boucle.
Pour les postiers de la province, il importait aussi de bloquer la Grand Poste de Liège. Pour barrer la route aux « briseurs de grèves », un carrousel mobile composé uniquement de femmes se mit à tourner devant l’entrée principale. Elles formaient, à l’approche de l’ennemi, un bloc très solide … A ma connaissance, elles marchèrent jour et nuit durant au moins 15 jours, les unes relayant les autres. Au besoin, les époux, fiancés, frères, bref « toute la famille », prêtaient leur concours.
Une période de vache maigre
A cette époque-là, je travaillais comme fonctionnaire à Bruxelles. J’ai finalement totalisé 30 jours de grève alors que la majorité reprit le boulot au bout de 15 jours. Pour tous, c’était une perte sèche au plan salarial. Avec mon épouse, on la multipliait par deux. Quant aux indemnités de grève, elles furent insignifiantes parce que le nombre de grévistes syndiqués était tellement considérable que nous trouvions équitable de réserver ces indemnités aux plus démunis d’entre nous. Mais les gens ne se posaient pas la question de savoir que va-t-on gagner. C’était quelque chose d’étonnant et d’émouvant à la fois.
Je n’oublierai jamais la solidarité internationale : la République Démocratique Allemande, ex-RDA, envoya un train alimentaire jusque Liège Guillemin. Demeurant à proximité, nous y avons rempli plusieurs fois notre sac à provisions, en ce compris l’extraction dans un grand tonneau de harengs dont mes souvenirs de guerre m’avaient laissé un souvenir impérissable.
l’Histoire du mouvement ouvrier n’a vraiment rien d’un long fleuve tranquille
A plus de 80 ans, force est de constater que les vieux Karl et Friedrich, et la lutte permanente des classes sociales dans le monde, ne cessent de démontrer que seul le rapport des forces dans les luttes politiques et sociales est déterminante pour remporter les grandes victoires.
A deux reprises, j’ai vu et vécu … deux gigantesques déferlantes en mesure d’ébranler d’une manière durable un système sociétal prioritairement basé sur les profits d’une minorité.
Ces deux grèves m’ont apporté la confirmation qu’il faut aller au-delà de la défense des droits acquis : il faut continuer à mettre en cause fondamentalement le « Système » pour espérer voir quelque chose changer.
Clodomir Répondre
Lors de la « grande » grève, j’étais étudiant en dernière année à l’université de Liège ; J’habitais à Verviers et je faisais les trajets tous les jours en train.
Par tradition familiale et par inclination personnelle, j’étais plutôt du côté des grévistes et je leur ai gardé ma sympathie malgré les difficultés de transport consécutives à leur action.
Dans les rues de Verviers, il y avait de fréquentes manifestations ; des défilés au cri de : « Eyskens au poteau », notamment ; ce qui me posait un problème : comme, déjà à l’époque, j’étais adversaire de la peine de mort, je ne pouvais m’associer à ce slogan et je criais : « Eyskens démission », ce qui est nettement moins agressif !
Je me souviens de la lettre du cardinal Van Roey appelant à la fin de la grève, à laquelle répondit la lettre plein de dignité des prêtres de Seraing qui, eux, vivaient la situation sur place ; l’opposition classique entre le haut clergé (souvent du côté des possédants) et le bas clergé au contact de la population.
Un autre souvenir marquant : un meeting d’André Renard (personnalité majeure de la FGTB wallonne) à Dison ; j’en retiens cette petite phrase : « Ne parlons pas de la monarchie….il y a des choses qui meurent de vieillesse » ; tonnerre d’applaudissements dans la salle !
L’affaire royale était encore dans toutes les mémoires.
La grève était spontanée, partie de la base ; j’en suis convaincu : pendant toute le durée de l’action, le parti socialiste belge et la FGTB nationale n’ont fait que freiner ; ils ont suivi, contraints et forcés, en traînant les pieds ;
encore un souvenir : quand la FGTB nationale a enfin réussi à arrêter la grève ; les délégués syndicaux qui sont venus l’annoncer aux travailleurs ont été copieusement hués.
Il y aurait encore bien d’autres choses à dire mais ce n’est pas mon but ; je voulais simplement évoquer quelques petits souvenirs personnels.