Ce texte fait partie du feuilleton "Ma soeur, cette héroïne", écrit par José T. Lire l’ensemble
Pour plus de sécurité encore, mon père remit son sort entre les mains de Notre-Dame du Rempart, protectrice de la ville.
Tous les jours, à la sortie des bureaux, il se rendait dans la chapelle de la Vierge, avenue du Rempart, pour lui adresser sa prière : "Protégez-nous des sales Boches" et glisser dans un catéchisme qui traînait là, tout express, sur le dossier d’une chaise numérotée, l’un ou l’autre message urgent et codé. Il savait que quelqu’un viendrait, derrière lui, occuper le même siège, lirait le message pour l’apprendre par cœur avant de le jeter dans un caniveau. A l’occasion, lorsqu’il était à court de temps, et que le destinataire du message résidait dans les environs immédiats, il m’utilisait comme agent de liaison.
"Tu dois passer inaperçu", me recommandait-il. Je m’y appliquais sérieusement. Qu’il est difficile de se rendre invisible. Je ne m’étais pas rendu compte que mon corps prenait tant de place. D’ailleurs, même si je me cachais derrière un arbre ou dans une encoignure de porte, mon ombre pouvait encore me dénoncer.
Le lundi et le jeudi après-midi, j’étais de garde dans la chambre de ma grande sœur et me faisais tout petit, assis sur son lit, tandis qu’elle captait et transmettait ses messages. Sa main s’ouvrait et se fermait à la vitesse des ailes d’un colibri en train de pomper le suc d’une fleur. La regardant faire, j’avais l’impression de me trouver dans un monde magique qui fonctionnerait selon ses propres lois physiques. Elle déchiffrait, à voix haute, sur un ton neutre et mécanique tel un patient sous hypnose, les messages qu’elle captait dans l’air et dont je prenais note sous sa dictée. Le contenu des messages étaient aussi mystérieux que la manière dont ils nous parvenaient. "Faites venir le ramoneur" ou bien "La boîte à chaussure est vide" ou encore "Lâchez les pigeons". Parfois, il y avait une adresse et c’est alors que je me transformais en coursier invisible.
Tous les jours de nouveaux martyrs venaient s’épancher entre "ses mains qui parlent". Elle était liée à leur sort. Elle les écoutait, les réconfortait oubliant ainsi son propre drame. Dans la nuit, elle les entendait l’appeler et parfois était réveillée à l’aube par les cris d’adieu de celui qu’on déportait ou qu’on allait fusiller ou décapiter.
Sa chambre n’était plus une station de télégraphie sans fil mais une cellule qu’elle partageait avec ces inconnus meurtris, souffrants, et qu’elle ne voyait pas et peut-être ne verrait jamais, sinon en photo, si les visiteurs insistaient pour la lui montrer.
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Il est palpitant votre feuilleton. Et ce n’est pas une fiction ! Cela remue beaucoup d’émotions enfouies entre la peur et "on vous a bien eus !". Le petit rebelle rusé qui sommeille en moi y trouve son compte. Vous mettez également mon faible capital de patience à rude épreuve. Quel training !
Lucienne E.