Ce texte fait partie du feuilleton "Ma soeur, cette héroïne", écrit par José T. Lire l’ensemble

Depuis que ma sœur Maguy s’appelle Micheline, je la découvre et la regarde mieux.
Les traits fins, le corps bien proportionné, mince, coquette et charmante, elle aime mettre en valeur sa féminité. Quand elle m’autorise à entrer dans la chambre "des filles", je la trouve souvent devant le grand miroir de sa garde-robe en train de se peigner ou de se maquiller. Elle me prie parfois de boutonner sa blouse dans le dos. Elle attire naturellement le regard des garçons et ne reste pas indifférente à leurs avances.
Au cours d’un séjour récent à la campagne chez le cousin F, je constatai qu’il ne lui déplaisait pas qu’un jeune homme la courtise. J’étais son messager auprès de ce garçon qui attendait je ne sais quoi planté devant les grilles cadenassées de la propriété. Par contre, les familiarités du cousin F, la rebutaient et c’est à cause de cela que notre séjour fut abrégé. Impressionnant de bonne santé, le cousin, marié et déjà père, nous inquiétait par le plaisir évident qu’il trouvait à châtrer, en notre présence, les cochonnets hurlants et à exhiber dans sa main rouge de sang leurs bourses tuméfiées." Ils prendront plus vite du poids", disait-il, en rigolant.
En fait, tout ce que je connaissais de ma grande sœur, c’est qu’elle suivait des cours de commerce et de dactylo dans une école privée, contre son gré par ailleurs car, en fait, elle rêvait d’être hôtesse de l’air, ce qui lui fut refusé plus tard en raison de sa petite taille. Je me souviens aussi qu’elle nous raconta que pour abréger le chemin qui la conduisait à l’Institution scolaire, elle avait traversé à pied la Meuse gelée sur toute sa largeur tant l’ hiver fut rude, cette année là.
Probablement rêvait-t-elle aussi d’une aventure dans laquelle le valeureux chevalier, sans peur et sans reproche, l’emporterait sur son cheval blanc pour lui offrir les présents de l’amour.
"Macadam" jeune réfractaire du travail, qui n’avait pas vingt ans, et qui était tombé sous son charme, rêvait, sans doute, d’être ce chevalier-là et ne se cachait pas pour le lui faire savoir, entre deux messages sérieux envoyés par des détenus dont la vie était en sursis.
Sous la houlette d’un flirt qui ne tarda pas à se dessiner, n’était-ce pas l’occasion inespérée d’échapper à la tutelle familiale, ma sœur apprit donc l’alphabet morse au rythme des battements de son cœur.
Moi, qui n’avais encore que douze ans, je la devinais, je la comprenais, je l’admirais. Elle devint, sans qu’elle s’en doute, mon héroïne.

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