L’homme communique d’abord de vive voix, ensuite il passe à l’écrit.
Le parler franc nous étant désormais interdit sous peine de nous retrouver dans ces cellules que nous avions en horreur, ma sœur Maguy substitua aux cris désormais proscrits, les lettres de l’alphabet découpées dans du carton. A nouveau, elle put correspondre directement avec les prisonniers, échanger des noms et des adresses, souvent des messages codés destinés à des réseaux de résistance.
Ce système de communication était rudimentaire et lent.
C’est alors qu’un détenu qui occupait la cellule la plus haute et la plus en vue de notre fenêtre, retint notre attention. Il essayait visiblement, agitant des cartons en forme de lettres de faire passer un message dont le sens nous échappait.
Je nous vois, tous réunis dans la chambre de mes sœurs, à nous demander à quoi rimait ce manège. Peut-être le prisonnier nous parlait-il dans une langue étrangère ?
De retour du bureau, notre père, mis en éveil par ce que nous lui racontions, tenta, à son tour, de déchiffrer le mystérieux message.
– M.O.R.S.E. lança-t-il soudain. -Qu’est-ce que ce mot signifie ?- Allons ! Tous au dictionnaire ! Il n’est pas réservé qu’aux sourds, que je sache.
C’était son expression familière pour nous inciter à consulter le dictionnaire et enrichir ainsi notre vocabulaire.
Nous avons donc ouvert le livre des mots et arrêté notre doigt sur "morse".
– Morse : grand mammifère marin des régions arctiques, lut ma sœur Maria.
– Peut-être est-ce un prisonnier russe qui chassait le morse en Sibérie, avancé-je prudemment.
–Tu as l’imagination fertile, s’esclaffa ma grande sœur.
– Morse pourrait-il avoir un autre sens ? s’interrogea mon père en nous retirant le dictionnaire des mains et le parcourant à son tour. Vous ne savez donc pas regarder plus loin que le bout de votre nez. Le morse est un système de télégraphie électromagnétique mis au point par Samuel Finley Breese Morse, inventeur de l’alphabet du même nom, voilà ce que, moi, je lis.
Nous nous regardâmes les uns, les autres, nous demandant vers quelle direction cette définition pouvait nous conduire.
– Allez me chercher l’encyclopédie, dit mon père. Il faut examiner ce mot avec plus d’attention.
Et de fait, le grand Larousse nous dévoila tous les secrets d’un alphabet mystérieux composé de barres et de points.
– Voilà ce qu’il tente de nous faire comprendre depuis plusieurs jours, conclut mon père, qui avait fait la guerre 14-18 dans les boyaux de la mort et avait lu avec nous "Le lotus bleu". Tintin, ça ne vous rappelle rien ? Souvenez-vous ! L’appareil qui lance des "Tit" et des "Tâat" et des S.O.S…
– Mais oui, dit ma sœur Maguy, qui avait tout compris.
Et l’alphabet copié sur la paume de sa main, elle transforma sans coup férir sa chambre en station de télégraphie sans fil et entama, aussitôt, avec des cartons en forme de rond et de rectangle, un interminable dialogue avec son agent de liaison. Quand elle laissa tomber les bras, épuisée, elle nous annonça que "Macadam" était le nom de guerre de son correspondant et que le sien était "Micheline".

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5 commentaires Répondre

  • MULIER Répondre

    C’est écrit avec beaucoup d’humour et de sensibilité.
    Une intrigue amusante. A quand la suite ?

  • lucienne Répondre

    c’est avec beaucoup de bonheur que j’ai relu ces textes...
    merci !

  • Répondre

    Je viens de lire les 7 premiers épisodes de "Ma soeur, cette héroïne". C’est très bien écrit, avec une pointe d’émotion et d’humour. On a vraiment envie de lire la suite au plus tôt.
    Géo

  • Répondre

    A quand la suite ? C’est passionnant ! Merci Dadu

  • Jean Nicaise Répondre

    Ces sept épisodes sont très agréables à lire. Il y a du suspens jusqu’au dernier et le style est vif et plein d’humour.

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