Ce texte est issu de notre recueil d’histoires vécues imprimé sous forme de livre « Et la lessive - Instantanés sur l’évolution de la femme au 20e siècle »
Notre mariage a lieu en 1962. Deux enfants naissent rapidement : le premier en 1963, l’autre en 1965. Cela se passe à l’hôpital Saint Pierre, à l’époque le premier hôpital de Belgique, à la pointe du progrès.
Me voici à la visite de contrôle gynécologique. A la fin de la visite, le docteur Bratt m’annonce qu’il veut me parler en compagnie de son assistant. Ils sont responsables depuis peu du tout nouveau service de contrôle des naissances qui a pour but d’accroître et promouvoir toutes les méthodes de contraception.
– Alors, chère madame, je vois que vous êtes mariée depuis trois ans Vous avez deux enfants. Avez-vous l’intention d’avoir une famille nombreuse ? Comment pensez-vous contrôler les prochaines grossesses ? Quelle est votre méthode ?
Questions qui m’embarrassent ! Ma maman m’a donné une éducation pudibonde : aucun conseil. Nous ne parlions pas de ces choses là.
– Je pratique la méthode Ogino et… on fait attention.
– La meilleure façon d’avoir un bébé tous les ans ! me dit en riant le gynécologue. Je crois que voici le moment de vous informer qu’il existe maintenant une toute nouvelle méthode de contraception qui nous vient des Etats Unis, qui a fait ses preuves et qui va vous permettre de décider du moment où vous souhaiterez un autre bébé !
Et mes deux médecins de m’expliquer avec moult exemples techniques ce mystère de la pilule contraceptive.
Bien que sa découverte date de 1956, ce n’est qu’en 1964 qu’elle est introduite en Belgique. Je n’en ai personnellement jamais entendu parler.
Nous sommes jeunes mariés ; mon époux travaille à la centrale nucléaire de Mol. Il quitte la maison le lundi pour y rentrer le vendredi. L’abstinence ? Il ne faut pas nous demander l’impossible ! Etres éloignés l’un de l’autre c’est dur mais ce qui est agréable dans la séparation ce sont les retrouvailles !
J’écoute émerveillée cet exposé médical. Une révélation ! Mes interlocuteurs ne doivent pas me demander deux fois quel est mon choix !
Enfin libérée de cette épée de Damoclès qui, tous les mois, me menace de cette angoisse paralysante ! Car dans ce cas-là qui porte la responsabilité ? Qui prend les risques ? Qui décide d’interrompre, de s’abstenir ? Qui demande à être raisonnable ? Et comment est-ce interprété ? Et qui se sent coupable ? Rarement l’homme, reconnaissons-le.
Je reviens radieuse raconter en détail à mon époux l’entrevue avec mon gynéco :
– Tu te rends compte, chéri, de la chance qu’on nous offre ?
L’accueil n’est pas des plus enthousiastes :
– Une pilule ? Qu’est-ce que cela cache ? Pourquoi combattre ce qui est naturel ? On n’est pas bien comme ça ? Et ta santé ? Quels effets secondaires ? Et si on veut un autre enfant ?
Tant de questions qui dissimulent mal un réel embarras, une inquiétude toute légitime du mâle : quels effets sur ma virilité ? Sur mon pouvoir ?
J’apaise ses craintes et la pilule prend place sur la table de nuit. Le geste devient automatique et nos relations jouissent d’une liberté jusque là inconnue. Bientôt, ma prise quotidienne de ce petit comprimé ne pose plus de problèmes à mon époux. En aurait-il été de même si le comprimé était à usage masculin ?
La pilule contraceptive est une révolution ! Cette découverte est pour la femme une incroyable délivrance !
Deux enfants c’est bien, mais si on faisait un troisième ? On peut enfin se poser la question, y réfléchir sereinement, programmer la décision d’agrandir la famille.
Il faut du temps pour me convaincre ! Preuve que le pouvoir de décision est maintenant partagé.
Sept ans plus tard naît notre troisième bébé.
Mais les mentalités n’ont pas beaucoup changé ; il est difficile de faire admettre à mon entourage que cette naissance tardive n’est pas un « accident » !