Lille, fin mai 1940.
Nous avons trouvé à nous loger dans la cave d’un immeuble occupé par une veuve sexagénaire, à proximité du centre de la ville.
Dès notre arrivée nous apprenons que l’armée Belge a capitulé.
La nouvelle attriste mes parents. Yvonne par contre s’en réjouit. Cette reddition augmente les chances de survie de son soldat de mari.
Avec l’aide de la propriétaire, nous nous installons dans un confort certes relatif mais incomparablement plus agréable que celui des gîtes précédents.
Deux nuits passées sur des matelas et de longues siestes gomment quelque peu la fatigue occasionnée par notre longue promenade forcée au soleil.
Notre logeuse s’occupe efficacement de notre approvisionnement.
Grâce à un grand évier en pierre polie équipé d’une pompe à levier, nous nous réconcilions avec l’hygiène corporelle.
Joseph et moi avons repris nos jeux de billes dans le jardin de l’immeuble. Chacun de nous avait été autorisé à emmener quatre billes.
Nous jouons dans la lumière vive réfléchie par des rangées de linge blanc séchant au soleil.
Pendant ce temps la guerre se poursuit. Le canon gronde dans le lointain comme un chien dont on menace de voler l os qu’il grignote.

L’armée française a décidé de défendre Lille à tout prix
L’avant-garde des troupes allemandes a atteint les faubourgs de la ville et de violents combats s’y déroulent.
Le bruit du canon se rapproche de nous.
Des soldats français croisés en rue nous préviennent que l’assaut final aura probablement lieu demain. Tous sont pessimistes quant à l’issue du combat.
Nous retournons nous réfugier dans ce que nous appelons déjà « notre » cave.

Dernier jour de mai.
Ce matin, le canon aboie de plus en plus fort. Des combats de rue font rage dans des quartiers proches du nôtre.
Nous nous sommes plaqués contre le mur d’une cave comme lors des bombardements d’Enghien.
Cette fois-ci, des combats ont lieu dans notre rue. Des coups de feu se mêlent à l’explosion de grenades.
Une mitrailleuse tire à rafales répétées. Des ordres sont lancés dans une langue gutturale.
Le claquement précipité de bottes pénètre par le soupirail de la cave à rue.
Encore quelques coups de feu, encore quelques cris et le silence s’installe dans la rue. La bataille se poursuit dans les rues avoisinantes.
Nous restons encore un temps dans notre refuge. Les bruits des combats se font lointains.
Notre hôtesse nous rejoint au sous-sol.
Elle a suivi les combats de rue, cachée derrière les rideaux de son salon. Son inconscience ou son courage inutile nous laissent pantois.
Elle nous raconte que les Allemands ont emmené tous les blessés, les leurs et ceux de leurs ennemis. Ils ont également évacué les corps de leurs soldats tués. Les cadavres des Français n’ont pas encore été évacués.
Un soldat allemand passant devant sa fenêtre lui a fait comprendre, par gestes, que tout était terminé et qu’elle pouvait sortir.
Nous risquons un regard par la porte d’entrée. Des militaires allemands dont certains, les manches de chemises retroussées, courent vers le fond de la rue le doigt appuyé sur la gâchette de leur arme.
Une demi-douzaine de corps de soldat français sont étalés sur l’aire des combats.
Deux d’entre eux sont couchés côte à côte, dans une imposante flaque de sang, derrière l’ escalier en pierre d’ un perron. Un fusil mitrailleur est posé sur la marche supérieure parsemée de douilles. Le casque d’un des soldats gît renversé à son côté.
De nombreux impacts de balles ont labouré les façades.
Je suis surpris que mes parents me laissent regarder ce spectacle ou la mort à nouveau tient le rôle principal.
Le soir, notre logeuse vient nous annoncer que la ville est tombée entièrement entre les mains
Cette nouvelle nous inquiète et nous soulage en même temps. Demain il faudra organiser le retour au pays.

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