Les vélos reprennent leur place dans une remise dans l’attente d’une révision méritée.
Toutes portes et fenêtres grandes ouvertes, la maison élimine l’haleine fétide de renfermé qu’elle a accumulée pendant deux semaines.
Je me précipite dans ma chambre pour y retrouver les objets qui meublent mon univers et procède à leur inventaire.
Tout y est : les jouets en bois et en fer émaillé, les journaux de Spirou, les livres illustrés parmi lesquels trône « Un bon petit diable » de la comtesse de Ségur, un jeu de loto, un jeu de l’oie, une toupie, un sac de billes, un ours en peluche ainsi que des soldats de plomb représentant des militaires belges et anglais. J’espère pouvoir y ajouter bientôt des répliques de soldats allemands afin de leur faire subir de cuisantes défaites sur les champs de bataille que je ferai se dérouler sur la grande table de la salle à manger.
Pendant ce temps mon père se rend à son pigeonnier pour y rétablir la discipline qu’une longue absence a dû transformer en douce anarchie.
Les volatiles le reconnaissent et entament un ballet aérien autour de lui, ballet accompagné par une symphonie cacophonique de claquements d’ailes et de roucoulements joyeux.
Les pillards ne les ont pas découverts.
Heureusement, car la quantité de petits pois volés laisse imaginer le sort funeste qui aurait été le leur en cas d’investigation plus poussée des voleurs.
Ma mère part faire des emplettes dans des épiceries concurrentes. Nécessité fait loi.
Milda défait les bagages et trie leur contenu, amoncelant une montagne de linge sale.
J’y dépose ce qui aurait pu me faire office de masque à gaz, le grand mouchoir rouge à pois blancs de mon père. Il a servi uniquement à éponger sur mon front les flots de sueur que le soleil torride y distillait sans cesse.
Je pressens que la vie va reprendre son cours. Peut-être pas tout à fait le même que celui qui a mené mon passé.
Le principal est préservé, en tous cas en ce qui me concerne.
Les aventures vécues pendant les deux dernières semaines ont la densité de celles que vivent les héros de mes BD. J’ai la certitude qu’elles resteront à tout jamais gravées dans ma mémoire.
Confusément je sens qu’une page va se tourner. Et comme à la lecture d’un livre, j’ignore totalement le contenu de celle qui va suivre.
Replacé dans mon cadre de vie, je n’éprouve aucune crainte pour l’avenir.
Ma mère rentre découragée de ses emplettes. Les denrées sont rares et chères. Elle a terminé sa tournée chez le beau-père de ma sœur Yvonne qui est également épicier. Devant le désarroi de ma mère, il s’est plongé dans les tréfonds obscurs de son comptoir et avec la dextérité d’un magicien sortant un lapin de son chapeau en a retiré un assortiment de boîtes et de paquets. Il a placé le tout dans le sac à provision tendu vers lui avec un « Et pour Madame ce sera tout ? » car un soldat allemand venait de pénétrer dans le magasin.
Je demande l’autorisation à ma mère de partir à la recherche de mes copains. Je la sens hésitante. Elle acquiesce cependant mais à la condition expresse que Milda m’accompagne. Ma sœur accepte avec un plaisir mal dissimulé. Elle pourra mettre la sortie à profit pour reprendre contact avec les prétendants qu’elle avait satellisés avant notre départ.
Dehors le soleil luit. Sa lumière crue inonde chaque être, chaque objet.
Sur la plaine j’aperçois un de mes copains qui joue seul aux billes.
Je lâche la main de ma sœur et cours vers lui en criant son nom. Il me reconnaît et crie le mien.
Des billes s’entrechoquent dans la poche de ma culotte avec un son plus doux à mes oreilles que celui du cristal le plus pur...
Pour un moment je quitte le monde cruel des adultes.

1 commentaire Répondre

  • Françoise V Répondre

    Merci, Adrien, pour votre joli texte. L’enfance a la merveilleuse faculté de traverser avec insouciance tant d’épreuves. Et heureusement !
    Ce récit est-il terminé ? Puis espérer une suite ?

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