Extrait de "Nous écrivons notre vie" 2023-25

Arrêt sur image :

Une petite fille âgée de 6 ans, se prénommant Esther, cheveux courts, frêle en uniforme bleu marine, est assise en tailleur sur un tapis usé, dans un immense couloir d’un ancien appartement, elle pleure ! Je vais tenter de vous raconter mon histoire.

C’est la rentrée des sections primaires à L’Institut de l’Assomption. La maîtresse peu psychologue s’est écriée : « les belles jumelles devant, les autres, derrière ! » Les autres ce sont Esther et Élise ! Élise percevant bien le message, effrayée, s’est oubliée dans la classe ! À ses pieds, une mare d’urine que j’ai été sommée de nettoyer ! J’en ai eu honte, ce souvenir me poursuivra tout au long de ma vie ….

Jumelles non ! Triplés, elles ont un frère du même âge ! Benoît. Et un grand frère de 12 ans se prénommant Aurélien. Élise et Benoît sont handicapés de naissance suite à une erreur médicale ! Une infirmière aurait fait une piqûre à notre mère afin d’arrêter l’accouchement, le gynécologue étant en retard ! Des conséquences désastreuses s’en suivront : suite à une asphyxie cérébrale, Élise souffre de handicaps mentaux et de légers troubles physiques. Benoît est tétraplégique, mais présente cependant un meilleur quotient intellectuel que sa sœur Élise.

Aussi avais-je des raisons de me lamenter ? Je me sentais si seule, personne ne m’aidait à déchiffrer les syllabes, à apprendre à lire ! Je devais me débrouiller… Plus tard, je n’inviterai plus jamais de copine de classe suite à une expérience désastreuse. Ayant eu le courage d’inviter une amie, Roxane, à qui je n’avais pas osé avouer le handicap de ma sœur jumelle, cette amie, après le goûter, s’était écriée : « Elle est vraiment drôle, ta sœur, elle ne sait pas se tenir à table ! ». S’en est suivi un silence général ! Ma mère n’a pas désiré faire monter ses parents, elle est descendue précipitamment avec Roxane ! Ensuite ma mère a déclaré : « Tu n’inviteras plus cette gamine, elle est mal élevée ! »

En vacances à Boulouris à la Côte d’Azur, nos parents avaient loué une villa avec des amis ayant aussi un enfant handicapé se déplaçant en chaise roulante. Un beau jardin bordait la villa, j’étais heureuse. Je gambadais et attrapais de jolis papillons dans un filet que je relâchais aussitôt, sous le regard de Patrick et de mon frère Benoît, allongés sur une couverture, car ils ne savaient pas marcher. Soudain je m’arrêtais en apercevant mon frère pleurer. Dès lors je passais toutes les matinées à leur lire des histoires afin de les réconforter.

Quant à mon frère aîné Aurélien, il était en secondaire à l’Institut Saint-Stanislas. C’était un enfant surdoué ! Un surdoué qui héritait de bien drôles de frère et sœurs... un fardeau ! Il s’évadait en collectionnant, dans sa chambre, des livres, des insectes, des coquillages et des fossiles. Plus tard il deviendra Docteur en paléontologie et en géologie à 24 ans. Il quittera alors la famille et ne verra plus sa mère, son frère et sa sœur souffrant de handicaps.

Mes parents n’ont bénéficié d’aucune aide sociale : ni matérielle ni d’aucun soutien psychologique.

À la maternité, on leur avait dit que tout s’arrangerait avec le temps. Ma grand-mère adorée venait, heureusement, régulièrement aider maman. Ma mère avait de l’aide dans le ménage. Mon père rentrait très tard du travail, il était ingénieur dans une entreprise qui éditait des journaux. Il venait seulement nous embrasser dans nos chambres respectives vers 20h.

Pour ma part, je partageais une chambre avec ma sœur, ce qui n’était pas évident, Élise étant caractérielle !

Durant mon parcours scolaire, nous déménagerons cinq fois et changerons chaque fois d’école en primaire ! Ma mère niant le handicap de ma sœur ! Elle le niera jusqu’à la fin de sa vie.

Le couperet tombe !

Un pédiatre déclare que ma sœur doit suivre un enseignement spécialisé !

Nous voici à l’Institut des filles de la sagesse à Ganshoren ! Où je poursuivrai de mon côté un parcours classique. Mon frère Benoît pourra quant à lui bénéficier d’un enseignement spécialisé, adapté aux infirmes moteurs cérébraux, fondé par le Docteur Louis Yasse et sa femme Rose-Anne Brasseur.

Pour ma part j’ai, à l’adolescence, évolué vers des sections artistiques : les arts décoratifs et ensuite des études techniques de stylisme- modéliste, une forme de douce révolte envers ma mère ! Devenue adulte et mère de deux enfants, suite à un divorce, j’entreprendrai des études afin de pouvoir enseigner. Je me suis dirigée alors vers l’enseignement spécialisé.

Était-ce une forme de réparation envers mon frère et ma sœur ? Était-ce l’occasion d’accorder une attention particulière aux personnes souffrant de handicaps, de militer pour leur place dans la société, surtout au passage de l’âge adulte, domaine où il reste tant à faire lorsque les parents vieillissants ne savent plus assumer cette lourde tâche. Espérons que nous n’allons pas vers une régression des aides qui leur sont accordées. Comme ceci se passe actuellement en Italie vu le contexte politique et économique !

J’ai appris récemment l’existence d’une association soutenue par la fondation Roi Baudouin nommée FratriHa. Celle-ci donne la parole aux frères et sœurs qui ont grandi au sein d’une famille dont un ou plusieurs enfants étaient porteurs de handicaps !

Aurais-je été autre si ceci avait existé pendant ma jeunesse ? Probablement, cependant tout ce parcours et ce vécu m’ont permis d‘acquérir une grande sensibilité et empathie envers les plus faibles. Mon principal souci, alors que j’avance en âge, est l’encadrement et le soutien des jeunes parents qui sont confrontés à la naissance d’un enfant différent.

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