Extrait de "Nous écrivons notre vie" 2023-25

Elle n’est pas toujours aussi visible qu’un handicap physique ou un retard mental, mais, si elle n’est pas prise en charge, à temps, une marginalité non voulue peut vite gâcher la vie et provoquer des comportements qui sembleront asociaux. La souffrance qu’elle engendre n’est pas non plus toujours visible, mais elle est là, et peut vous couper les jambes, vous empêcher de prendre confiance et de vous insérer dans la société. Certains, avec une difficulté similaire, mais avec d’autres ressources, réagiront juste à l’opposé et montreront leur force, leur résistance. Ils arriveront à surmonter leur mal-être et trouveront leur place au sein de la société.

L’histoire de mes origines démarre à la fin de la dernière guerre. Un beau militaire d’origine aristocratique, qui a joint la R.A.F. comme belge volontaire, est mitrailleur à bord de bombardiers Mitchell. En permission entre deux missions, il rencontre une jolie juive de 31 ans dans un dancing de l’Astoria à Londres. Elle est cultivée et fine. Lui a 36 ans et ne manque pas d’allure, c’est un rêveur, un idéaliste, un littéraire. Ils s’éprennent l’un de l’autre et il lui fait la promesse que, s’il s’en sort, il l’épousera. Ayant survécu à 59 missions, démobilisé, ils se marient sans tambour ni trompette.

Je ne pense pas qu’elle rêvait de faste ou de luxe, elle l’aimait c’est tout. Très vite ils vont vivre dans un petit appartement à Bruxelles. En 50, je nais et je suis mis dans les mains d’une gentille nounou. On m’inscrit dans une école particulière, l’école Hamaïde, qui suit l’enseignement Decroly. Bien que douce, cette méthode pédagogique entraîne aussi une forme de mise en marge.

Mon père voulait écrire, mais vivre de sa plume ?? En fait, après de belles expériences en Afrique du Sud, comme agent territorial au Congo et à la guerre, il s’est retrouvé tout petit rentier, et en est devenu complexé. Pour se cacher, autant que par goût de la nature, il décide de nous amener, ma mère et moi dans le sud de Bruxelles, dans une toute petite maison au bout d’un chemin privé. C’est un vrai petit paradis, oui, mais à l’écart de tout. Il finira par acheter une 2CV en 1963.

Autre catastrophe, qui m’a beaucoup nui, au lieu de poursuivre cet enseignement primaire à l’École Nouvelle, qui respecte l’enfant, je me vois inscrit au Collège Cardinal Mercier. Catholique, traditionnel, rien que des garçons. Je m’y sens seul, bien trop seul. Personne ne m’invite et les rares que j’invite me font sentir combien je suis peu gâté matériellement. Bricoleur, adroit, inventif, j’apprends vite à fabriquer des quantités de choses. Me sentant humilié à bien des égards, je suis très mal à l’aise dans les groupes. Je finis mes études secondaires dans une école technique où je ne sympathise avec personne.

Nanti de bonnes connaissances et d’une bonne pratique de l’électronique, pourquoi n‘ai-je pas tenté des études supérieures ? Je pense que mon père m’a fait sentir qu’il était temps de gagner ma vie. Qu’allais-je faire ? Totalement inconscient des réalités matérielles, après un petit job de chauffeur-livreur, je me suis mis comme indépendant, pensant que mes capacités manuelles me feraient vivre. N’ayant que peu de besoins et aucun goût de luxe, j’ai vécu un temps ainsi. En 1977, mon père décède. Je ne sais toujours pas exactement comment je me suis retrouvé animateur d’un atelier de menuiserie pour handicapés mentaux légers à modérés de plus de 21 ans. Mais voici enfin des heures régulières et un salaire mensuel fixe. C’est là que je rencontre celle qui deviendra ma femme en 1980. En 1987 nous avons un fils.

Survient alors mon souvenir le plus valorisant. Dans les années 90, ayant installé cette grande cabane au fond du jardin, j’y organisais des stages de découvertes pour 6 à 10 jeunes de 8 à 14 ans. Ces ateliers de vacances, qui duraient 5 jours, concernaient les grands chapitres de la physique, de la technologie et de la science. Recycleur et bricoleur infatigable, avec peu de moyens, je leur offrais des séances d’initiation à tout ce qui concerne le son, la lumière, l’électricité, la radio, le temps, l’espace, l’eau, le feu, l’air, la vapeur, l’énergie. Certains semblent avoir bénéficié de ces moments au point qu’ils m’ont témoigné par la suite à quel point cela leur a servi pour orienter leur profession.

Là encore, les circonstances de ma vie ont fait avorter ce qui aurait pu prendre un beau développement, car, dans ces années, ce type de stage était encore nouveau.

La mère de notre fils adoptant un comportement éducatif inacceptable, notre couple bat de l’aile. Au tournant du millénaire, nous divorçons. Notre fils va rester vivre avec elle, bien sûr, elle lui passe tout, et moi je suis exigeant. Je travaille alors comme chauffeur pour des enfants avec handicap. En 2002, je finis par aller habiter au Royaume-Uni avec une cousine. J’y donne des cours de français. Il s’en suit une période de 15 années assez harmonieuse, où j’enseigne le français. Je le fais d’une part avec petits groupes, jusqu’à 10 personnes allant les uns chez les autres, et d’autre part en individuel, chez moi. Là aussi, j’ai connu des moments d’échanges humains intéressants et certains de mes étudiants m’ont renvoyé des messages très positifs.

C’est l’arrivée du Covid et la difficulté pour mes étudiants à passer à des cours en ligne qui a stoppé quasi totalement cette activité. Je l’ai regretté, car j’y avais trouvé un certain épanouissement. Je ne m’étais cependant toujours pas vraiment inséré dans la vie sociale. La relation de couple a fini par dégénérer et m’a fait décider de revenir en Belgique.

Je m’y sens mieux, mais n’ayant quasi plus de famille et si peu d’amis, je dois me réinsérer dans un tissu social. C’est ce que j’ai en partie retrouvé avec A & T. Malheureusement d’autres limitations sont apparues avec ma perte d’ouïe et une diminution de mémoire.

Je ne sais plus qui a dit : ‘Les jeunes peuvent, mais ne savent pas, les aînés savent, mais ne peuvent plus ! »

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