Extrait de "Nous écrivons notre vie" 2023-25
Aujourd’hui, j’ai 83 ans et mes 4 enfants ont quitté depuis longtemps le nid familial. C’est important pour moi de raconter cette déjà longue vie. Je suis née à Vilvorde, 6e d’une famille de 7 enfants dont je suis l’avant-dernière et la seule fille. Seule fille au milieu de 6 garçons ! Une vie intense et pleine de bonheur, mais avec la difficulté de vivre ma féminité dans un milieu masculin, et aussi plus tard mon orientation de vie.
C’était en 1957, j’avais 16 ans, et je me trouvais en humanités gréco-latines, en poésie. J’étais une adolescente passionnée par mes études de latin et de grec, une vraie intellectuelle, mais aimant le sport aussi, entraînée par une bande de garçons bouillants de vie : natation, équitation, tennis, escalade même ! Les vacances familiales se passaient dans les Ardennes ou à la mer avec une bande de jeunes, amis et amies. Beaucoup d’insouciance et de joie de vivre ; j’avais vécu un premier sentiment amoureux au mariage de mon frère Luc, avec un garçon qui étudiait à Saint-Michel, mais il faut dire que c’était assez platonique, nous avions tous les deux 16 et 17 ans et nos sujets de conversation étaient l’Iliade et l’Odyssée… Je ne m’intéressais pas aux garçons, mais voilà qu’un garçon s’intéressait à moi ! Il faut dire qu’à l’époque, garçons et filles étaient fort séparés, ce qui m’arrangeait bien !
Est-ce que cet aspect intellectuel était une fuite devant la réalité ?
Les livres et les études me passionnaient, je passais des heures au téléphone avec mes amies et me sentais bien dans cette vie bien réglée entre école et famille.
En 1954, un drame secoua la famille : mon frère Paul âgé de 18 ans a attrapé la poliomyélite en campant avec des scouts à l’étranger. Le vaccin n’existait pas à l’époque et Paul a été ramené immédiatement en Belgique et hospitalisé, il a vécu entre la vie et la mort dans un poumon d’acier. Et puis, il a repris le dessus par miracle, même s’il est resté paralysé des jambes. Je garde en mémoire ces trajets en tram de Vilvorde à l’hôpital Brugmann, où Paul a vécu en revalidation, au centre de traumatologie, pendant 2 ans.
Une belle expérience fut un séjour en Angleterre, dans une famille à Oxford, pour apprendre l’anglais… Je commençais à sortir du cocon familial, Erasmus de l’époque ?
Ma difficulté, en cette fin d’études secondaires, était de savoir vers quelles études m’orienter… mes amies de classe s’étaient toutes orientées vers des études universitaires. Pour ma part, j’étais pétrie d’idéal, je voulais servir une cause, et être dans l’humain… encore une fois décalée par rapport à la réalité ? En voyant que je ne savais pas me décider, mes parents m’ont proposé de vivre 3 mois à Rome dans une sorte de pension pour jeunes filles, à la Trinité des monts, où j’ai appris l’italien et eu l’occasion de visiter toute l’Italie.
À la fin de cette année académique 1960, maman est tombée gravement malade et est décédée au mois d’août. Un tsunami familial ! Deux frères mariés avec enfants, 3 frères à l’université de Louvain, un frère en pension à Cardinal Mercier, et papa complètement désemparé dans une maison vide la semaine et qui se remplissait le week-end…
La question du choix de mes études se reposait à nouveau : je voulais finalement me former comme infirmière, mais je devais alors loger en pédagogie et donc papa serait seul la semaine.
Papa m’a alors demandé de m’occuper de la gestion du ménage et de choisir d’autres études qui me permettraient de concilier les 2 tâches. Il me disait gentiment : "pourquoi ne suivrais-tu pas des cours de secrétariat, tu pourrais aider ton mari plus tard ? ». Ce n’était pas mon objectif et j’ai suivi une année de philo et lettres à Saint-Louis à Bruxelles : j’ai réussi l’année, tout en m’occupant de la maisonnée, de papa et de l’accueil des jeunes ménages. Je prenais la place de maman, j’avais une mission, j’étais heureuse de me sentir utile, même si cela ne solutionnait pas mon problème d’études. La famille était soudée autour de papa et dans le deuil de maman. C’était un grand réconfort.
L’année suivante fut différente, je me suis orientée vers le droit, ce qui ne m’a jamais convenu, mes frères ont pris leur indépendance et ont quitté la maison, où je me suis retrouvée seule avec papa. Ce fut une période difficile, j’essayais de sortir un maximum, mais je ne retrouvais pas mon équilibre. Je pataugeais dans des études qui ne me convenaient pas et je me sentais fort seule.
Je voulais travailler et ne savais pas dans quelle orientation ou formation m’inscrire, j’étais un peu perdue et je ne savais à qui parler de mon souci. J’avais envie de quitter le cercle familial et de m’ouvrir à autre chose. Finalement, je suis partie quand même à Louvain et j’ai logé dans un foyer international. J’ai fait une année de sciences religieuses et ai enseigné un an dans les écoles communales de Bruxelles. La suite sera une autre histoire…