Extrait de "Nous écrivons notre vie" 2023-25

On naît tous avec un potentiel féminin et masculin. On choisit de laisser s’exprimer l’un ou l’autre intensément ou non et de façon constante ou sporadique. Des traits, des gestuelles, une culture, des exemples identitaires, des histoires personnelles viennent façonner notre rapport au genre.

En ce qui me concerne, elle est plus fluide que la norme : c’est une histoire en construction.

Je ne parviens pas à m’identifier au genre féminin. J’ai toujours cherché à prendre distance avec les codes, les intérêts, les discussions propres aux filles et aux femmes. Je ne les comprenais pas et elles ne m’intéressaient pas. J’ai souvent eu des copains garçons. Mais là aussi, les obligations de jeux, de séduction, de surveiller son comportement, ses paroles, ne pas faire assez de ci ou trop de cela, ça m’a souvent fatiguée. En bref, devoir baliser les relations sur le genre m’apparait futile et inutile.

Bien sûr, je n’ai jamais cherché à devenir le déchet que je me sens actuellement. Je suis aujourd’hui dans une anti-féminité non choisie. Un cerveau encombré d’un corps, dont je me suis dissociée. Fruit d’un méticuleux travail de sape d’estime de moi après des années de vie isolée avec un narcissique. Il m’a fallu presque une année avant d’oser remettre du vernis sur les pieds. Et encore, ils étaient cachés dans mes souliers.

Bon c’est vrai, je déteste les odeurs de parfum synthétiques et envahissantes. Les crèmes étouffent ma peau, les poudres m’incommodent. Dès que je souligne un trait par-ci ou une couleur par-là, je me sens fardée, tel un clown qui doit aller parader. Cela n’aide pas.

Depuis que je suis devenue maman, j’ai opté pour les tenues confortables, faciles à enfiler, qui permettent de s’agenouiller et se dégueulasser. Non seulement je ne mettais plus aucune jolie tenue que mon ancien compagnon s’était méthodiquement évertué à dénigrer et à critiquer, mais je voulais aussi m’alléger pour fuir mon bourreau. Alors, dans un élan vital de me séparer de tout ce qui m’accrochait à mon ancienne vie, j’ai tout relégué à la donnerie.

Très tôt – vers la fin de mes primaires – alors que j’observais mon aînée se maquiller les yeux, je sus que l’exemple de féminité qu’elle m’offrait me déplaisait voire m’écœurait. Je me souviens du mascara qui plaquait ses cils et je voyais en la femme qu’elle cherchait à être une Cruella d’enfer, fort peu sympathique et risible. Intérieurement quelque chose se décida que ce n’était pas pour moi. Et je me souviens prononcer avec conviction et véhémence « Moi, jamais je ne me maquillerai » !

Bon, j’ai bien évidemment essayé le maquillage. Et opté pour quelques styles vestimentaires en fonction des époques de ma vie. Grunge, Classique, Artiste, Hippie, Bohème, Punk, Absolute Mom puis Minimalist Mom. J’avoue que j’ai toujours eu une préférence pour le style distingué des femmes des années 20-30-40. Je parcourais d’abord les quizz des magazines pour ado « Quel est votre style ? », mais aussi les manuels d’histoire de la mode, fascinée par les tenues d’époque.

Parmi tous mes rêves professionnels, j’aurais bien voulu être costumière de théâtre et opéra ou coiffeuse pour films d’époque.

D’ailleurs, parlons-en de la coiffure. Toute mon enfance et une grande partie de ma vie, j’ai porté les cheveux courts. Ma mère m’expliquait que c’était une question de commodité. Elle se maquillait peu, juste ce qu’il fallait, pour prendre soin d’elle, se pomponner pour des occasions particulières. Elle était d’une féminité discrète. Je me souviens avoir senti ses poudres libres, ouvert des tubes à lèvres et comptabilisé les pinceaux. Je l’ai toujours connue avec les cheveux courts, et elle s’était mise en tête de faire pareil avec moi. C’était une torture, parce que je détestais aller chez le coiffeur. Et c’est toujours le cas aujourd’hui. Cette nécessité d’hygiène est pour moi un vrai supplice. Les odeurs, j’en ai déjà parlé. Le massage de tête quasi obligatoire où on tente de me faire me détendre, mais qui me rend encore plus crispée, la lumière aveuglante au plafond, les conversations parasites et futiles des clientes, le bruit et la chaleur des sèche-cheveux, le choix des couleurs criardes et sans goût du salon de coiffure. La conversation banale ou intime imposée lors d’une proximité obligée, la sensation de ne pas me faire comprendre par le professionnel sur mes attentes que, année après année, j’ai tenté de rendre explicites, très explicites ou floues, ou même visuelles. Et par-dessus tout, le fait de devoir assumer une coupe trop courte qui fait ressortir le masculin en moi que je sens déjà de façon très marquée.

Pour la xième fois de ma vie, je tente de laisser pousser mes cheveux. Pour équilibrer ma balance identitaire et chercher cette part de féminin en moi qui ne sait pas comment s’exprimer.

Parce que je n’ai pas appris, je n’ai pas cherché à apprendre, parce que j’ai été bafouée dans ma féminité, parce que, même avec un accouchement par césarienne, j’ai eu l’impression d’échouer dans mon rôle de femme.

Peut-être parce que je n’ai jamais trouvé d’exemples et de pairs à qui m’identifier. Sans doute, parce que je cherche encore à me construire dans mon être, dans ma chair, dans mes rapports aux femmes, à l’homme, aux individus.

Mais quand j’entends mon enfant chanter « maman, t’es la plus belle », je sens mes oreilles sourire de plaisir et mon âme vibrer de bonheur. Même si un écho en moi cherche pourtant encore à me dénigrer, je sais qu’à ses yeux, la beauté n’a pas les critères que je crois. Et qu’il me voit moi. La voilà ma vérité !

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