En 1946, un référendum met fin à la Monarchie Bulgare et instaure une République populaire, sous le gouvernement de Dimitrov. La dictature adopte des formes staliniennes jusqu’à la déstalinisation de 1956, mais se poursuit jusqu’à la chute du mur de Berlin.

En août 1956, je franchis la frontière bulgare. Je suis officier. Me voilà déserteur. Avec pour tout bagage, un dictionnaire allemand-bulgare en poche car je pense m’exiler en Allemagne où se trouvent beaucoup de mes compatriotes.

Durant trois jours et trois nuits, je marche en zone turque, au péril de ma vie. Mais la chance est avec moi : pas un soldat à l’horizon. Les miradors sont vides. Au bout de ces trois jours, je rencontre la première garnison de soldats turcs. L’accueil est compatissant : l’officier me fait cuire une galette sur les braises et me cède son lit. Lui-même dormira sur deux chaises. Je n’oublierai jamais cet accueil ! Le lendemain, ce même officier me conduit à Istanbul en jeep, à 300 km de là. Je suis enfermé, pendant 15 jours, pour laisser le temps aux autorités turques de prendre des renseignements, avant d’être transféré dans un camp.

De là, je décroche un premier travail au Consulat américain d’Istanbul comme laveur de voitures en remplacement d’un réfugié bulgare parti à l’armée. C’est en avril 1957 que j’entends parler pour la première fois de la Belgique : l’ « entraide socialiste » recrute des réfugiés pour travailler à l’Expo 58. Un collègue américain m’y encourage. « De là, tu peux aller partout » me dit-il et il souligne que « c’est le pays où les lois sociales sont les meilleures » ! Nous sommes 170 réfugiés bulgares à partir en avion vers la Belgique.

Durant deux semaines, on nous confine à Liège dans une caserne. J’entends parler de Cockerill, où certains parlent d’aller travailler, mais très vite je choisis de rejoindre Bruxelles qui offre plus de possibilités d’un travail moins éprouvant.
C’est un réfugié politique russe blanc qui nous héberge à la Barrière de St Gilles. L’ « entraide socialiste » me dégote un logement et un travail : il s’agit de câbler des fils électriques pour une entreprise en bâtiment, près de la Gare du Midi. Ce travail ne me plaît pas.

Je commence à mieux parler le français et cela me permet d’être recruté chaussée d’Alsemberg pour assembler des connexions électriques sur de grands panneaux. Le travail me convient, mais il ne faut pas m’embêter : un des jeunes travailleurs belges qui me harcelait pour me recruter comme nouveau syndicaliste en a fait les frais. J’ai fini par lui répondre : « Va dire à celui qui t’envoie que je l’enquiquine jusqu’à la neuvième génération ». L’affaire en est restée là.

L’Expo 58 nécessite beaucoup de main d’œuvre. J’y suis embauché pour monter de petits logements pour les touristes. Alors que je commence à maçonner, le chef de chantier arrive et examine mon travail. Au bout de quelques temps, il s’en va et me rapporte… ses outils personnels pour continuer. J’ai enfin un bon travail … de maçon.
Chaque jour, je me déplace du centre de Bruxelles jusqu’à l’Expo. Comme le tram coûte 20 centimes de francs belges et que je n’ai aucune ressource, je marche matin et soir une heure et demie en m’orientant grâce au Palais de Justice.
A la fin du dernier mois de travail, le responsable de chantier part en Afrique pour ce qui doit être un voyage de courte durée. Il n’en reviendra jamais, son avion ayant eu un accident. Ce mois-là, nous n’avons rien touché. C’est l’Assistance publique qui paiera.

Peu après, sur le conseil d’un étudiant bulgare du CERIA, j’entre dans cette école de chimie à Anderlecht avec l’espoir d’obtenir une bourse. Au bout de trois mois, je découvre que je n’y aurai pas droit, car j’ai plus de 30 ans (35 ans). Je garde espoir car la secrétaire, compatissante, propose que CERIA verse la moitié de la bourse. Ainsi je n’aurais plus qu’à trouver un organisme qui verserait l’autre moitié. Mais je ne parviens pas à en trouver. Me voilà désespéré. Je ne sais plus où aller. Je ne sais plus à qui m’adresser.

Je quitte donc le CERIA, la mort dans l’âme. L’entraide socialiste m’aide à nouveau en me proposant une chambre chez deux personnes âgées, très gentilles. Je n’oublierai jamais les paroles de Monsieur Dumoulin, qui sera le parrain de Pierre, mon premier fils : « Kiril, perdre de l’argent n’est rien. Perdre son honneur, alors on perd TOUT. »
Ces personnes me conseillent d’étudier le soir aux Arts et Métiers et je choisis la radio-télévision qui est en plein essor. Le jour, je confectionne des châssis de radios. Le soir, j’étudie. Quatre ans plus tard, j’obtiens mon diplôme. Nous étions trente-quatre au début, nous ne sommes plus que quatre en dernière année. Je suis le quatrième de la promotion et si heureux !

Tout au long de mes études, je travaille le samedi comme apprenti technicien TV à Vilvoorde. Le soir, en revenant de ma journée de travail, dans le tram, je note tous les dépannages effectués par le technicien que j’accompagne. Un beau jour, ce dernier part travailler à l’étranger. Le patron est inquiet mais, grâce à mes notes, je parviens rapidement à le remplacer. Il faut dire que le peu d’allemand que j’ai étudié en quittant la Bulgarie me permet de me débrouiller avec les clients flamands.
C’est le patron, Monsieur BESIN, distributeur TV ACEC à la Grand Place de Vilvoorde qui m’apprendra à conduire. Une camionnette Acadiane 2 CV.

Tout se passe vraiment très bien. Nous sommes maintenant en 1962. Je rencontre alors celle qui deviendra ma femme en juillet 1963 et avec laquelle nous ouvrirons un an plus tard un magasin « La Maison Tobie ».

J’estime aujourd’hui que j’ai eu beaucoup de chance et je trouve que toutes les personnes rencontrées étaient toutes des personnes de cœur. Je n’ai qu’un mot à dire : « Merci à la Belgique ! »

Découvrez la suite du récit de Kiril dans le texte : « La maison Tobie » écrit par son épouse Françoise.

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