Mon métier d’institutrice n’a pas été le seul métier de ma vie. J’y ai consacré cinq années, jusqu’en juillet 1963. Mon mari et moi venons de nous marier. Je comprends vite que mon mari est fait pour être indépendant car il est très personnel, n’aime pas l’autorité et possède beaucoup de qualités d’endurance.
En février 1964, après la naissance de notre premier fils, Pierre, nous décidons de nous « jeter à l’eau » : j’arrête l’école – lui quitte son patron chez qui il est dépanneur TV et nous ouvrons notre magasin situé au 96 b, Chaussée de Tervueren à Auderghem, près du Rouge Cloître, quartier « Sainte Anne ». Nous sommes le premier distributeur TV de la commune.
Notre première TV, de marque « Siera » noir et blanc, est mise en vitrine : c’est la seule que nous ayons en stock et elle appartient à mon mari.
Je suis tellement émue lors de la première vente … que je fais la démonstration sans brancher l’antenne ! Devant toute cette neige sur l’écran, le client me demande : « Ne faut-il pas brancher une antenne ? » Nous rions … et la vente se fait. Ou plutôt, elle se fera deux jours plus tard, le temps d’aller acheter la TV neuve chez Philips !
Mes parents nous prêtent alors 200.000 francs belges pour la location du magasin, l’achat d’une 2 CV Citroën camionnette et deux TV neuves. Philips nous fait d’emblée confiance en nous « prêtant » deux TV.
Pour chaque client qui achète une TV, mon mari monte l’antenne pour « les 2 Bruxelles et Lille ». Son hauteur s’élève entre 9 m et 13 m. C’est, pour lui, un métier de plus.
Les clients apprécient le fait d’avoir ce service-là, car la télédistribution n’existe pas à l’époque.
Quel bon argument de vente, ce travail ! Pourtant ce n’est pas sans difficultés (les toits sont pentus, la météo n’est pas toujours au beau fixe, …) ni sans risques : à deux reprises, c’est la chute. La première fois, mon mari parvient à se rattraper … Mais la deuxième fois, seule une brave et solide corniche lui sauve la mise.
Le grand boum pour nous fut l’avènement de la TV couleur. Les premières TV couleur arrivent sur le marché en 1967. Elles sont bien plus volumineuses et lourdes que les TV noir et blanc.
Vite, elles inondent les vitrines des distributeurs TV car elles sont très attirantes. Presque tous les clients l’acquièrent à crédit, après avoir contracté un prêt par la banque car le prix est plus que doublé !
Le 16 juillet 1969 a lieu le décollage de la capsule « Appolo 11 » de Floride qui atterrira sur la Lune avec Aldrin, Collins et Amstrong.
Le 21 juillet à 4 heures du matin, Amstrong pose les pieds sur la Lune et prononce « un petit pas pour l’homme, … un grand pas pour l’humanité ».
Les millions de téléspectateurs de par le monde n’oublieront jamais cette épopée !! A cette occasion, le chiffre de vente de nos TV atteint des sommets … quel engouement !
Le GB d’Auderghem commence à vendre des TV aussi. C’est de cette époque que date notre formule « Trois années de garantie totale ». Le soir, chacun à notre tour (car les enfants ne restent jamais seuls), nous distribuons nous-mêmes la publicité dans les boites aux lettres.
Après quelques mois, nous apprenons que le GB d’Auderghem a renoncé à vendre des TV pour se rabattre sur l’électroménager.
A nouveau, nous sommes seuls.
Nous travaillons de jour comme de nuit, installant les antennes en journée avec deux amis (car l’haubanage demande d’être aux différents coins du toit, pour redresser le mât), dépannant le soir les TV à domicile et livrant les TV neuves.
Et il faut encore trouver du temps pour réparer à l’atelier.
En 1969, nous déménageons à « St Julien », chaussée de Wavre 1268, où nous achetons une maison à deux façades, l’une donnant sur la chaussée de Wavre, l’autre sur la rue Valduc).
Le travail devient lourd et nous employons un voisin qui, le soir, livre les TV dépannées et les nouvelles TV.
Moi, je me contente d’être la vendeuse attitrée, de répondre au téléphone. J’ai appris à écouter. Chaque client raconte facilement … et les écouter est tellement agréable pour eux.
Le reste du temps, j’élève notre deuxième fils Siméon (né en mars 1965) et je conduis les enfants à l’école. La comptabilité sera … pour le dimanche !
J’aime également m’occuper de la publicité car j’ai compris que c’est un point des plus importants pour réussir !
Aux fêtes de quartier, on sillonne les rues principales avec la 2 CV camionnette en clamant dans le haut-parleur à qui veut l’entendre… notre nouvelle formule de garantie totale de trois ans ! En roulant, on offre des ballons gonflables de couleur aux enfants.
Notre magasin se situe à hauteur de l’arrêt de bus et les piétons attendent leur bus en regardant la TV en vitrine. Mon mari a raccordé un haut-parleur dans la cave par le soupirail.
La première vitrine incassable a été inaugurée chez nous après deux vols !
Un jour, un habitant de Ganshoren commande. Nous livrons avec promesse de paiement rapide. Nous n’avons jamais reçu le moindre franc. Mon mari décide d’aller rechercher sa TV. Il attend à l’entrée de l’immeuble, tôt le matin, que quelqu’un sorte pour rentrer dans le bâtiment. Il monte, sonne, s’annonce. La dame n’ouvre pas. Mon mari se fâche et la dame se met à rire. Lui, s’énerve et finit par défoncer la porte. En une fois, la porte tombe. Il reprend sa TV et part. Peu après, une plainte est déposée et l’inspecteur de police d’Auderghem nous appelle. Mon mari s’explique sincèrement. L’inspecteur finit par prendre notre défense en écrivant aux collègues de Ganshoren. L’affaire sera classée « sans suite ».
Un samedi après-midi, un client me dépose sa TV en panne. Pas d’image. Il me supplie pour qu’elle soit réparée le jour même… Le samedi après-midi mon mari ne rentre pas, vu son travail à domicile. Alors, voyant l’heure avancer, je décide d’ouvrir le panneau arrière … C’est déjà toute une histoire ! Je teste une à une les lampes. Finalement, je résous la panne en remplaçant une lampe « PL36 ». Quelle fierté pour moi ! Le soir, le client vient récupérer sa TV et me demande de bien remercier mon mari pour le dépannage supplémentaire !
En 1977, après la naissance de Vasco, nous « remettons » notre magasin … magasin qui aujourd’hui encore porte l’enseigne de « Maison Tobie ».
Après quelques années, je reprendrai mon métier d’institutrice avec grand plaisir. Des enfants devant moi … c’est quand même mille fois mieux que des TV !