Devenir grand-mère à l’âge de 64 ans seulement a été une petite révolution dans ma vie.
Depuis de nombreuses années, j’attendais impatiemment que mes trois enfants rencontrent enfin la bonne pièce manquante à la constitution du binôme « couple ».
Découragé par quelques tentatives infructueuses, Cupidon, devenu paresseux, décochât ses flèches avec parcimonie.
Encore fallait-il que les amoureux aient le projet fou de se lancer dans l’aventure parentale.
Et enfin, il a fallu que Dame Nature prête mainforte à ces futurs parents presque quadragénaires.
Quelques aléas de la vie m’ont fragilisée émotionnellement. C’est la raison pour laquelle je suis passée maître dans l’art d’anesthésier toute émotion trop intense, et cela pour me protéger.
Plutôt que de continuer à vivre une attente si longtemps déçue, il m’était plus supportable de ne rien espérer, voire de me convaincre que je ne serai jamais grand-mère.
Aussi, comme une « Vieille au Bois Dormant » que l’on réveille d’un long sommeil après cent ans, je n’en crus pas mes oreilles quand, un jour de juillet 2011, j’entendis dans la bouche de ma fille : « Vous allez bientôt être papy et mamy ! »
J’avais imaginé si souvent ce moment : je me voyais exploser de joie ou fondre en larmes d’émotion.
Au lieu de cela, que m’arrivait-il ? Je déglutis l’information comme si c’était un mirage.
Ma tête bourdonnait comme si j’avais attrapé une insolation, aucun mot chaleureux ne put sortir de ma bouche, je ne suis même pas certaine d’être arrivée à sourire ! J’étais en état de choc !
Quel piètre accueil pour une nouvelle si fabuleuse !
Il me fallut quelques temps pour apprivoiser l’idée et pour laisser grossir en moi un paisible sentiment de bonheur.
Pour ma fille, j’ai tenté d’être aussi positive et rassurante que possible pendant les trois mois suivants, ponctués d’échographies, tests, analyses et mesures diverses susceptibles de détecter les maladies chromosomiques.
Ces sources d’inquiétude estompées, les mois de grossesse restants n’ont pas été de trop pour me préparer intérieurement à assumer mon nouveau statut.
Quelle grand-mère avais-je envie d’être ?
A quelle grand-mère voulais-je ressembler ?
J’ai concentré tous mes souvenirs vers les grands-mères qui m’ont précédée. Mais je n’ai pas vraiment rencontré de modèle suffisamment attrayant auquel j’aurais pu m’identifier.
Tant mieux, peut-être ! C’était à moi d’inventer ma manière de vivre ma « grand-maternité » !
J’étais bien décidée à prendre une vraie place dans la vie de mon premier petit-enfant.
Pour cela, il me fallait le feu vert des parents. Et pour l’heure, cette question était encore prématurée.
Le pronostic du sexe sera mis en doute par mon gendre jusqu’à la dernière minute mais la grande probabilité d’avoir une petite-fille réveillait tous mes désirs et me comblait déjà totalement.
Ainsi a fini par s’ouvrir peu à peu la porte aux émotions. Je me suis attendrie de voir le ventre de ma fille s’arrondir et être secoué d’une houle énergique.
J’ai aussi mis à profit cette délicieuse attente pour choisir mon nom de grand-mère. Quel privilège de pouvoir choisir mon nom pour la première fois de ma vie !
Je ne voulais pas de « Mémère », comme s’appelaient mes grands-mères.
Ni de « Bonne-Maman », comme s’appelait ma mère.
Ni de « Granny », « Nona », « Yaya » ou autre « Babouchka » trop exotique.
Non, ce sera « Mamy », tout simplement.
J’étais déjà impatiente d’entendre ce mot prononcé par la petite bouche rose qui vit le jour un matin de février 2012.
Dès le lendemain, émerveillée mais un peu maladroite, je tenais Alice contre moi, pas plus grande que mes deux mains.
Nous avons fait connaissance.
Elle, elle me regardait intensément de ses yeux sombres, grand ouverts, comme si elle me disait : « Coucou ! Je suis là ! ».
Alors j’ai engagé la conversation : « Bonjour Alice ! Je suis ta Mamy ! Tu es super mignonne. On dirait que tu as été faite à la plume ! J’espère que nous allons partager pleins de bons moments ensemble… »
Ainsi a commencé une histoire unique, une histoire à raconter dans un … « à suivre »