Voilà une question qui me préoccupait et tournait sans cesse dans ma tête dès l’annonce de la grossesse de ma fille.
Et d’abord, quel était mon rêve ? Comment je me rêvais en grand-mère ?
En manque de bons repères sur ce plan dans ma propre enfance, j’avais quelque difficulté à me projeter dans mon nouveau statut, malgré toutes les lectures conseillées par mes amies déjà grand-mère.
En fin de compte, toutes mes questions et mes inquiétudes furent sans fondement.
Car, depuis trois ans, c’est Alice qui m’apprend, pas à pas, mon métier de Mamy.
Il m’a suffi de décider, une fois pour toute, que je souhaitais me rendre disponible pour être présente chaque semaine à Luxembourg où elle habite.
Autant dire qu’en devenant ma priorité, Alice a chamboulé ma vie, mis sens dessus dessous l’organisation un peu routinière que je m’étais construite depuis que j’étais à la retraite.
Les trajets hebdomadaires sur l’ennuyeuse et dangereuse E411 ne me sont supportables que dans la mesure où je sais qu’un petit rayon de soleil va illuminer mes prochaines 24 heures.
Je sais que le rire et le sourire d’Alice m’attendent. Ils sont pour moi une source inépuisable d’enchantement.
Pour Alice, je me suis engagée dans un processus d’apprentissage et de « formation continuée ».
Elle avait à peine trois mois quand nous sommes allées ensemble à un cours de massage-bébé.
La petite coquine a eu le bon goût de roucouler sous les caresses que mes mains, enduites d’huile, lui prodiguaient avec douceur.
Très vite, elle a compris le mot « massage », elle s’étirait en confiance sur son coussin à langer, après m’avoir montré du doigt l’armoire où je rangeais l’huile parfumée de quelques gouttes d’une Huile Essentielle apaisante tolérée par les tout-petits.
Passée la période des longues promenades en poussette dans la campagne luxembourgeoise, est venu le temps des premiers pas, la découverte des petites fleurs le long du chemin, la jubilation des petits cailloux jetés dans la rivière ou des arrêts fascinés au passage à niveau pour voir passer les trains.
Puis, en grandissant, les petites jambes prennent de l’assurance et s’enhardissent.
Pour cette acrobate en herbe, le Parc Merveilleux de Bettembourg propose un magnifique terrain d’expériences.
Escalade de filets ou d’échelles de corde, galopade sur les ponts mouvants, glissade dans les toboggans-tunnel et tyrolienne suscitent d’abord ma vigilance inquiète.
Mais avec prudence, Alice goûte au plaisir de la nouveauté, elle s’engage dans l’inconnu avec détermination et c’est ainsi qu’elle m’apprend à lui faire confiance.
Et à chaque passage d’une nouvelle embûche, elle s’applaudit, très fière d’elle-même, me rendant témoin de ses progrès : « Bravo, Alice ! …T’as vu, Mamy ? Z’ai réussi ! »
Pendant l’hiver, la piscine est le lieu privilégié de notre connivence, avec les courses-poursuites à qui sera la première, les jeux de balle et les rires tout éclaboussés.
Cette petite boule d’énergie est pourtant capable de s’appliquer longuement lorsqu’elle entreprend une peinture au doigt, lorsqu’elle confectionne un bricolage pour Pâques ou la Fête des Mamans, ou lorsque nous réalisons ensemble une recette de cuisine.
Aujourd’hui, du haut de ses trois ans, Alice prend conscience du monde autour d’elle et dévore chaque découverte avec la même gourmandise que le chocolat.
Mon prochain cadeau sera une loupe, pour observer les fourmis, les brins d’herbe ou les étamines des fleurs.
Sa soif de connaissances n’a pas plus de limite que les cascades de « Pourquoi ? » qui inondent nos journées depuis quelques mois.
Pourquoi le train s’arrête à la gare ? Pourquoi le chien aboie et le chat miaule ? Pourquoi la voiture doit tourner au rond-point ? Pourquoi le soleil se couche d’un côté de la maison alors que la lune se lève de l’autre côté ? Pourquoi (au printemps) mon ombre est plus grande que moi ? …
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?...
Cette curiosité sans frein et cet appétit intellectuel est une formidable leçon de vie pour moi.
Alice est mon remède hebdomadaire contre l’apathie, le laisser-aller et le vieillissement.
Et j’espère pouvoir encore longtemps lui transmettre le meilleur de mes passions.
Mieux ! Alice aime me croire ignorante mais, rassurante, elle entreprend de parfaire ma formation : « Attends, Mamy, Ze vais t’esspliquer comment on fait les trous dans la terre pour les petites graines, passe que c’est très difficile ! »
Depuis la naissance d’Alice, je n’ai pas arrêté de me recycler en jeux éducatifs ou en matériel de puériculture. Choisir le bon siège-auto, dénicher les livres ou les jeux qui vont accrocher son intérêt est chaque fois un défi pour moi.
Et je me sens souvent à côté de la plaque : trop tôt ou en retard par rapport à ce qui est adéquat pour son âge.
Mais peu importe puisque seuls sont importants les moments que nous partageons ensemble à tisser, semaine après semaine, un lien de plaisir et de tendresse, à l’image de ces petits instants complices où, dans le calme d’une fin de journée, blotties l’une contre l’autre, je relis inlassablement les mêmes livres d’histoires qu’elle connaît par cœur.
Mai 2015.