Nous sommes en 1967 et j’ai 19 ans. D’habitude, chaque dimanche matin, mes parents m’envoient faire quelques emplettes notamment au « Faisan doré », chaussée de Waterloo à Saint-Gilles. Là, généralement, nous achetons deux poulets. C’est une tradition, le dimanche, nous mangeons ce volatile.
Mais, j’ai prémédité avec ma sœur Christine, qui a 14 ans, une escapade en mer du Nord pour ce dimanche. La veille nous préparons nos sacs à dos et nous glissons à l’intérieur de ceux-ci des vêtements chauds car nous sommes aux environs de la fête de Pâques et la nuit, il fait froid.
Je ne dis rien à mes parents. Ils pensent que nous serons de retour tout-à-l ‘heure.
J’estime qu’à 19 ans, je devrais avoir plus de liberté et un peu plus d’argent de poche. J’ai toujours mes 5 francs de dimanche comme ma sœur et mon frère. Je vais à pied à l’Institut des Arts et Métiers pour garder l’argent de ma carte de tram. Je récolte l’argent des vidanges et des carnets de timbres Boni et autres. J’en ai assez et je tente le tout pour le tout. Je sais que cela n’est pas bien mais tant pis. Ils vont s’inquiéter sûrement.
Nous quittons la maison, le cœur un peu serré mais avec une seule idée, faire un mauvais coup à nos parents afin qu’ils comprennent que nous ne sommes plus des petites filles.
Nous nous dirigeons rapidement vers la gare du Midi et nous prenons nos billets de train destination Ostende que nous connaissons bien. Nous y avons été quelquefois en vacances avec nos parents. Nous ne sommes donc pas en terre inconnue. Arrivées à Ostende, nous nous promenons dans la ville. Nous faisons un tour au quai des pêcheurs et nous nous régalons avec un bon cornet de frites accompagné d’une bonne couche de mayonnaise.
La liberté est à nous. Nous nous promenons le long de la mer, les pieds dans l’eau. Nous visitons le Parc de l’horloge fleurie et nous terminons par le son du carillon sur la place, au cœur de la ville.
Nous devons bientôt songer à trouver un refuge pour dormir cette nuit. Pour cela, nous prenons le tram qui longe la côte et nous descendons à Bredene. Dans les dunes, nous repérons un massif de plantes, des oyats. C’est là, au beau milieu que nous passerons la nuit. Le soir commence à tomber et l’endroit est désert. Après un dernier regard sur la mer et le beau coucher de soleil, nous nous installons dans notre refuge. Nous y dormirons tranquille. Ma sœur est plus inquiète que moi. Je dirige les opérations et je ne me sens pas menacée. Il fait nuit à présent. Nos parents doivent être morts d’inquiétude. Nous nous sommes réfugiées au milieu du massif et nous tentons de fermer les yeux mais le sommeil tarde à venir. Nous avons très froid. Dans la nuit, pas de lumière autour de nous. Nous ne distinguons plus rien. C’est le noir complet. Nous nous serrons l’une contre l’autre. Pas moyen d’appeler si quelque chose se passe car les téléphones portables n’existent pas encore. Nous sommes attentives au moindre bruit. Tout à coup, nous entendons à quelques pas de nous les talons d’une dame qui s’enfuit en courant. Ses pas s’éloignent mais notre cœur s’est mis à battre très, très fort. Nous prenons peur. Le calme est revenu. Nous attendons le matin. Qu’il vienne le plus rapidement possible ! Un peu plus tard, dans la nuit, nous entendrons le souffle long d’un oiseau que nous prendrons pour une espèce de chouette ou un autre oiseau de proie. C’est lugubre et très proche de nous mais le souffle après s’être rapproché s’éloignera doucement.
Le matin s’est enfin levé. Nous n’y tenons plus. Nous ramassons nos affaires et nous filons comme deux gazelles éperdues jusqu’au bas des dunes. Là, nous prendrons le premier tram venu, direction Ostende le plus vite possible. Nous réalisons le danger que nous avons couru. Nous n’appellerons pas nos parents. Ma sœur a perdu son porte-monnaie et moi je n’ai pas assez d’argent pour reprendre le train.
Nous nous dirigeons à pied vers l’autoroute qui mène vers Bruxelles. Ma sœur plus franche que moi fera du stop dans mon dos. Une voiture s’arrête. C’est un vieux monsieur qui nous demande où nous allons. Nous lui disons vers Bruxelles. Je peux vous emmener jusque Bruges si vous vous voulez. Très bien, nous montons mais je n’ai pas beaucoup confiance. C’est la première fois de ma vie que je fais du stop. L’homme ne parle pas. Nous non plus, mais il ne me paraît pas désagréable. Il nous dépose comme prévu à Bruges. Nous entrons dans une pâtisserie et commandons des croissants que nous mangeons rapidement. Nous allons ensuite dans une épicerie du coin pour y acheter deux berlingots de lait chocolaté.
Nous retournons à l’entrée de l’autoroute. C’est toujours ma sœur qui fait du stop. Nous n’attendons vraiment pas longtemps. Une voiture s’arrête et deux beaux jeunes hommes en uniforme, deux militaires français, nous demandent notre destination. C’est très bien, disent-ils, nous allons à Bruxelles aussi visiter la ville. Ils sont charmants et discutent avec nous très aisément.
Arrivée à Bruxelles, je pousse un soupir de soulagement. Ils nous demandent pour les emmener voir Manneken-Pis. Comme c’est un lieu que nous ne fréquentons pas souvent en qualité de bruxellois, nous sommes incapables de les diriger immédiatement vers cette petite rue de l’Etuve. Nous rions alors tous de bon cœur et tellement contentes d’être arrivées, nous leur offrons avec nos derniers sous du bon chocolat belge que nous achetons dans une petite rue, près de la Grand-Place de Bruxelles. Ils sont ravis et nous nous quittons sans jamais plus nous revoir.
De retour à la maison, nos parents nous accueillent sans rien dire. Ils ne nous regardent pas et nous demandent de les suivre jusqu’au commissariat de police. Là, ma sœur et moi sommes interrogées chacune séparément. Nous retournons ensuite à la maison.
Depuis cet épisode, il nous a semblé que nos parents avaient compris notre démarche malheureuse : ils nous laissèrent un peu plus de liberté !
JourdanHardy Répondre
Bonjour,
C’est à une belle histoire ! Lire une vraie histoire, une aventure des autres est mon passe-temps favori et c’est sûr que c’est aussi le cas pour tous les passionnés d’escapade. Cependant, elle est aussi inquiétante. Je suis père de famille et je sais très bien que parfois les parents mettent un peu la pression sur leurs enfants. Mais en général, ils réagissent ainsi pour de la bonne cause. Pour nous les parents, gronder ou donner des leçons de morales à nos enfants n’est pas une fierté. Vous allez le comprendre lorsque vous serez grand. Le plus grand rêve de tous les parents c’est que leurs enfants réussissent dans leur vie tout en devenant indépendants. Je comprends vos angoisses et je sais très bien cela ont eu des répercussions dans la relation avec vos parents, mais sachez que, eux aussi, ils souffrent profondément sans vous le dire face à face. Il n’y a de mieux qu’une bonne communication entre parents et enfants. Cela évitera toutes sortes de problèmes et de malentendus. La bonne solution c’est de faire une carte sur table. En tout cas, je vous félicite les filles, vous êtes plutôt débrouillardes.