Comme Obélix était tombé dans la marmite de potion quand il était petit, je suis tombé dans une famille très catholique.
Mon père, dernier de six enfants, avait été élevé dans une ambiance de foi mystique et de chants religieux. Ses soeurs composaient des odes à la vierge et sa mère rivalisait de piété avec la femme du pasteur protestant du village. Nous étions au début du siècle dernier, Papa étant né en 1905. C’est donc tout naturellement, qu’à la fin de sa rhétorique, il a suivi les pas de son frère Nicolas tout fraîchement ordonné. Il pris donc le chemin du petit séminaire de Saint Trond, le séminaire du diocèse de Liège. Où après deux ans, il écrivit une lettre touchante dont j’ai hérité, à son supérieur pour lui dire qu’il était trop interpellé par la gent féminine et qu’il pensait que sa voie était ailleurs que dans le sacerdoce.
Cela correspondit avec le décès de mon grand-père, qui laissait sa veuve avec deux filles à charge et une petite pension de percepteur des postes. Mon grand-père avait pris soin avant de mourir de faire promettre à son cadet de bien s’occuper de sa mère et de ses soeurs.
Plus question d’université, on trouva une place d’employé à Verviers où Nicolas avait une première affectation de chapelain. Il pourrait ainsi veiller aussi sur le petit Jean et la famille.
On s’installa à Stembert au bord d’un étang, avec une vue qui s’étendait sur toute la vallée de Verviers et sur les promontoires des fagnes.
Cette vie se continua jusqu’à la double libération, l’une consciente et l’autre inconsciente.
Les allemands étaient refoulés et ma grand-mère décédait sans l’avoir vécue. Mon père, effondré de la perte de sa maman, était sans s’en rendre compte, libéré du joug qui l’avait empêché pendant vingt ans de faire vraiment sa vie.
Mais revenons à notre sujet.
Mamy de son côté avait suivi un chemin similaire, famille très chrétienne, école des soeurs, pratique scrupuleuse de la religion. Une foi joyeuse mais inébranlable, qui n’a été ébranlée que dans les derniers jours de son agonie.
Mon enfance s’est donc déroulée dans cette ambiance chrétienne que toutes les familles qui m’entouraient vivaient à leur façon. Prière avant le repas, prière du soir simple et douce : "petit Jésus je vous aime, merci pour la bonne journée, bénissez Papa, Mamy, Clairette, Bernard, petit Pierre et tous ceux que j’aime."
A six ans première communion, puis messe tous les matins avant d’aller à l’école, à jeun pour pouvoir communier, certains le supportaient moins bien que moi et tombaient dans les pommes en plein milieu de la consécration. Cela devenait un jeu, on se retournait au moment de la consécration et on observait les mouvements éventuels de ceux qui allaient s’écrouler en faisant souvent résonner leur tête sur le dallage de l’église… J’ai pensé à ces moments précis en relisant la Peste de Camus et le Hussard Sur Le Toit où les gens tombent comme des mouches.
A Noël, pendant deux années quand j’étais petit, nous avons fait des crèches vivantes en guise de veillée de Noël, Mamy, pendant ses heures de liberté nocturne nous avait confectionné, pour Clairette et pour moi, des ailes d’anges en carton et des robes à partir de vieux draps.
Elle ferait St Joseph et la fille au pair, la jolie Ketchen, ferait la sainte vierge avec Pierre dans ses bras.
Une autre fois, c’était Papa qui avait fait Saint Joseph.
C’est dans cette douce croyance que j’ai été élevé. A l’école les cours de religion étaient extrêmement bien donnés et soutenus par des livres très bien illustrés.
J’adorais le livre d’Ancien Testament, je prenais de l’avance en regardant les pages suivantes du cours qui nous était donné. J’étais impressionné par les buissons ardents, les nuées enveloppant le Mont Sinaï et la manne tombé du ciel qui m’ouvrait l’appétit, cela avait l’air vraiment bon.
L’histoire aussi de Joseph jeté dans un puits, récupéré par des caravaniers, faisant fortune en Egypte.
Tout cela était vécu en parallèle avec mes premières lectures d’aventures.
Le cinéma de l’époque aussi était influencé par la religion : le superbe Ben Hur, dont j’adorais la fiancée, et Fabiola (qui n’était pas encore en Belgique), histoire du martyre des premiers chrétiens. J’étais un peu déçu en en sortant parce que les scènes dans l’arène où les chrétiens étaient donnés en pâture aux lions n’étaient pas aussi réalistes que sur les affiches et que le film n’était pas en couleurs !
Tout cela m’amena à ma communion solennelle, que je fis quand même dans un certain recueillement. Les années suivantes, à Marchin, j’assistais à la messe régulièrement et j’avais un contact de sympathie avec Loutre, l’aumônier. A la rentrée de la troisième année je fonçai sur lui pour avoir le droit de sonner l’angélus, ce qui coupait la séance d’étude en deux.
Et quand je quittai Marchin, je retrouvai ma paroisse en mutation. De nouveaux vicaires étaient arrivés, le nouvelle liturgie faisait son effet depuis quelques années et des séances de "partage d’évangile étaient organisées". Je m’y rendais régulièrement avec Mamy, seul jeune parmi une bande de dames d’un certain âge.
Mamy aussi de son côté avait changé au niveau de sa vie spirituelle : elle faisait partie de l’ACI, action catholique des indépendantes, où elle se fit de grandes amies.
Papa de son côté restait avec sa foi du charbonnier et j’ai eu au fil des ans et que mon indépendance intellectuelle se construisait, de nombreux accrochages sur les enseignements de l’Eglise, de ces idées avec lesquelles on nous avait bourré le chou.
Par exemple,l’histoire de la résurrection des morts : il soutenait mordicus que la résurrection serait enfin la grande embrassade universelle vers laquelle il tendait tant.
Je renchérissais : et les animaux ? Ah mais non, ce n’est pas la même chose ! Et pourquoi pas ?
Il va y en avoir des mouches lors de la résurrection des morts ! Il s’enfuyait, les bras au ciel, et s’enfermait dans son bureau, priant Dieu de l’excuser d’avoir failli à mon éducation religieuse…
Maintenant, les effets de la réflexion, d’une psychanalyse menée à bien, sont passés par là et je me suis fait une philosophie.
Pendant ce long travail sur moi, j’ai lu les tragédies de Sophocle, et un passage des Trachiniennes " Pour les hommes, rien qui dure, ni la nuit étoilée, ni les malheurs, ni la richesse.
Tout cela brusquement a fui et c’est déjà au tour d’un autre de jouir, avant de tout perdre".
Sophocle faisait dire ces mots à ses choeurs, pendant que de l’autre côté de la Méditerranée, les Prophètes s’acharnaient à combattre le polythéisme.
Et après est venu mon ami Jésus. Avec son message de fraternité, de pardon. Son parler vrai, sa pleine conscience de ce qu’il faisait et disait.
Le monde occidental à partir de là n’a plus été le même. Une expérience et des possibilités nouvelles permettait d’appréhender la vie d’une autre façon.
Les athées et les communistes eux-mêmes ont été influencés par ce message de fraternité.
Fraternité que j’ai vécue tout au long de ma jeunesse, mais qui s’est altérée ces derniers a travers le repli sur soi que nous connaissons actuellement.
J’ai aussi fait le voyage parfois fatiguant de la lecture de la Bible de Chouraqui en traduction littérale. Avec des éblouissements lors de la traversée du Cantique des Cantiques.
J’ai ensuite eu un maître Zen, avec qui j’ai pratiqué le Kiudo et l’Itsuzendo, calligraphie avec un gros pinceau, qui prépare au détachement avant le combat.
Je me suis ensuite détaché de ce groupe qui s’est dissout presque immédiatement après mon départ.
J’ai étudié les différents courants du Boudhisme, des enseignements du Boudha, de la Loi de sagesse qu’il a laissé derrière lui. J’ai découvert que loin de ce que l’on croit généralement, les bouddhismes locaux ont leur cortège parfois folklorique de saints appelés bodhisatvas et de dieux préexistants à son arrivée.
J’en suis maintenant à la conclusion de ma réflexion :
Chacun d’entre nous a été formaté par l’éducation de son enfance. Il en reste des traces indélébiles, qui font partie de notre constitution. Nous aurions beau rejeter tout en bloc, nous en vider l’esprit, elles sont gravées dans notre Etre.
Je pense que quelques soient les messages sacrés, les illuminations de certains prophètes ou sous-dieux, le grand Mystère persiste, nous ne savons pas.
Nous sentons que des choses, des forces agissent, sont à l’oeuvre dans l’univers qui nous entoure. Nous pouvons observer, que l’Amour domine la nature, mais aussi la lutte pour la survie. Nous savons que le Jour vient après la Nuit, mais que la Nuit finira par nous prendre un jour.
Je suis persuadé qu’il y a moyen d’arriver à une nouvelle approche de la spiritualité, débarrassée des dogmes et des rites anciens. Mais cela demande aussi un pratique régulière de la méditation, de la prise de conscience de ce que nous vivons et un détachement des aspects matériels secondaires qui nous entourent et qui nous prennent comme dans une nasse.
Pour moi, le bonheur est désormais fait de choses simples, de contacts souriants.
Reste à faire un pas de côté, reprendre le contact perdu depuis dix ans avec l’expérience de la forêt et de la nature. De ce que les indiens sud américains appellent la Pachamama.
Reste à me rattacher de manière plus permanent à l’essence de ma vie, à ce souffle pur qui m’a animé à ma naissance, à la terre que mes pieds foulent, aux êtres vivants que je rencontre et au partage de mon expérience.
Ernestine Répondre
Un long parcours à travers les religions pour parvenir à se faire une philosophie de vie, des instants simples de bonheur … j’ai bien aimé vos réflexions qui me paraissent refléter les parcours de nombre d’entre nous, tombés dans une marmite dont nous nous sommes sortis pour chercher un autre plat de résistance.
Puisse votre pas de côté vous mener là où vous le souhaitez.
Ernestine