Je suis dans une salle obscure, avec une amie de classe. Nous sommes en rhéto.
Un peu nerveuses, nous rigolons bêtement, nous transgressons ici une loi interne de l’Institut St André, la très catholique école de Charleroi.
Avant de nous introduire dans la salle, nous avons surveillé les alentours pour nous assurer qu’aucune surveillante ne rôdait, prête à nous sauter dessus et nous interdire l’entrée.
Avec pour conséquence, un passage musclé dans le bureau de la Mère préfète et 3 jours de renvoi pour faute grave… C’est qu’on ne badine pas avec la censure : la note "à déconseiller" passe encore, mais "à proscrire !", la punition est assurée et sans appel. En sus, la convocation des parents et leur mise au courant, la honte, le savon de maman à la clef, furieuse que sa fille ne suive pas le chemin de la décence prônée par la Sainte Eglise et donne le mauvais exemple à ses jeunes frères.
Souvenons-nous.
En 1960, la censure des films était sans appel et classée en 2 catégories : Enfants admis EA jusque 15ans, et Enfants non admis ENA à partir de 16 ans. Comme j’étais petite et ne paraissait pas mon âge, l’ouvreuse me demandait à chaque fois ma carte d’identité et du coup la suspicion atteignait celles qui m’accompagnaient.
Voilà pour la censure officielle.
Existait aussi la censure prônée par les autorités religieuses catholiques qui faisaient force de loi dans les milieux bien pensants et à plus forte raison dans les instituts catholiques- collège et écoles. Donc, la catégorie ENA se divisait en catégorie- Pour adultes, à déconseiller et à proscrire.
Les films intéressants faisaient partie de ces 2 dernières.
« Réalisme trop brutal, mise en brèche des autorités, vision romantique de l’amour libre, adultère et critique de la fidélité conjugale » c’est le texte de la censure qui décrivait exactement les films de la nouvelle vague et ceux du réalisme italien tels que Truffaut, Malle, Godart et les autres Fellini, Antonioni.
Et ne parlons pas des thrillers de Hitchcock qui donnaient le frisson et des films intellectuels de Bergman, ce suédois dépravé !
Bref, à part une élève qui nous aurait aperçues et cafterait, nous sommes prêtes à nous faire notre opinion sur ce film tant décrié.
Et c’est ainsi que nous avons vu « la Dolce Vita » qui fut le premier film d’une longue série.
Car non contentes de braver l’interdit avec délectation, ce qui ajoutait du piment à l’aventure, nous commencions seulement à découvrir un courant artistique passionnant qui au fil du temps n’a pas cessé de nous intéresser.
Quelques films m’ont poursuivie longtemps.
Avec toute une bande de copains et copines, je me vois, tassée dans mon fauteuil, les mains moites, les frissons le long de la colonne. Nous faisons moins les fières ; la critique – ah ! ce cher Sélim Sasson, le gourou de tous les cinéphiles qui sévissait sur la RTB – nous a avertis mais nous ne pouvons le rater ce tout nouveau film d‘un auteur américain, maître du suspens qui fait des plans fabuleux et cisèle ses images.
Et puis, nous avons des cours de cinéma, cela ne peut qu’enrichir notre culture.
Dans les dernières séquences, quand nous suivons la descente dans la cave, que le détective touche l’épaule de la femme et la retourne pour voir la momie grimacer sous le balancement de l’ampoule nue, je ne suis pas la seule à pousser un cri.
Plusieurs soirs suivants, honteuse d’avoir peur, j’ai demandé à l’un de mes frères de m’accompagner dans ma petite chambre.
Ne croyez pas que cette expérience me découragea et freina mes envies boulimiques de cinéma. Aujourd’hui encore, je reste à l’affût de bons films, refusant le médiocre et le banal.
Et si j’entretiens les frissons, je monte vaillamment me coucher sans crainte de l’obscurité !
virginie Répondre
Mes 14 ans pouvaient faire illusion : un peu de rouge à lèvres, un chignon et l’illusion était suffisante:l’ouvreuse me donnait 16 ans et j’entrais dans les cinémas de ma ville ; le premier ENA ce fut "Orfeu negro"... impressionnant !
J’étais en latin-grec donc le mythe je connaissais et je jugeais que j’enrichissais ainsi ma culture ; en outre comme mon école (communale) ne nous mettait aucune pression sur ces questions, il n’y avait donc que le regard de la caissière qui me stressait !