Ce texte est issu de notre recueil d’histoires vécues imprimé sous forme de livre « 123 j’ai vu - Des seniors d’aujourd’hui racontent leur enfance d’hier »

Les souvenirs les plus grandioses de mon enfance (je parle des années 50) sont les fêtes de Saint-Nicolas. Je dis bien « LES » fêtes, car il s’agissait de toute une série de festivités, non pas commerciales comme aujourd’hui, mais plutôt intimistes et familiales, très excitantes. La pression montait jusqu’au 6 décembre et je crois bien qu’à ce petit jeu les parents s’amusaient autant que les enfants !

Vers la mi-novembre, on commençait à se préparer, à s’efforcer d’être sage pour que le grand Saint vienne, la nuit, déposer une friandise dans les pantoufles alignées devant la cheminée. Si nous ne l’avions pas mérité, c’était à son terrible adjoint, Père Fouettard, de nous sanctionner. Je me souviens ainsi d’avoir découvert au lever, à la place de la douceur convoitée, une vulgaire baguette baignant dans un verre de vinaigre, ce qui me laissa fort mortifiée. Mais ce qui me sidéra fut de voir Maman, ignorant que je l’observais, se saisir du verre et en reverser le contenu dans sa bouteille de vinaigre : j’en restai fort perplexe…

Les longues soirées d’automne se passaient à chanter les ritournelles d’usage pour implorer la venue du grand Saint, tout en faisant des rondes endiablées autour de Maman et parfois, le jeudi, autour de tante Jeanne. Toutes deux faisaient mine d’être très occupées à leurs travaux d’aiguilles mais stimulaient l’ardeur de nos invocations jusqu’au moment miraculeux où un déferlement de noix, noisettes, bonbons, friandises nous tombait dessus. Tante Jeanne nous certifiait avoir vu une main gantée de blanc sortir de la cheminée ; elle en rajoutait même, jurant ses grands dieux qu’elle avait vu s’enfuir la queue fourchue de Père Fouettard. Inutile de dire que notre émotion était grande !

Un moment fort était aussi celui de la rédaction de la lettre à Saint-Nicolas. Elle devait être déposée au pied de la cheminée la veille du 6 décembre, dernier délai ! On y apportait grand soin : les aînées, qui savaient déjà écrire, la rédigeaient pour elles-mêmes, puis pour les petits qui n’en étaient pas encore à ce stade mais avaient à cœur d’apporter leur touche personnelle en dessinant le cadeau convoité afin d’éviter toute méprise.

Et enfin, le grand jour arrivait. Même si nous bouillions d’impatience dès le petit matin, il fallait attendre que tout le monde soit debout et, au signal, on s’alignait derrière Papa, la plus jeune lui collant à l’arrière-train, suivie des plus grands par rang d’âge, pour terminer par Maman. Papa prenait un malin plaisir à parcourir ainsi toute la maison : il passait la tête dans une pièce et lançait de tonitruants « OH ! » de surprise qui nous faisaient bondir et pousser par l’arrière… Bien entendu, la pièce se révélait banale, sans la moindre trace de cadeaux !

Deux fois, trois fois le scénario se répétait, en fonction des pièces de la maison susceptibles d’avoir été choisies par le grand saint. Evidemment, c’était la toute dernière du circuit qui était la bonne. La curiosité avait été portée à son paroxysme, si bien que le spectacle des cadeaux, jeux et friandises qui s’offrait à nos yeux nous laissait émerveillés. Le nombre et la variété des couleurs y étaient sans doute pour beaucoup, certainement plus que la valeur des cadeaux qui, à l’époque, n’atteignaient pas les budgets d’aujourd’hui : c’était un livre, un album à colorier, un jeu de société, une boîte de couleurs, un plumier garni, une poupée… Tout faisait notre ravissement.

Nos premiers livres de Tintin furent ainsi des cadeaux de Saint-Nicolas : Monique reçut « Le Lotus bleu », à Ghislaine échut « Le sceptre d’Ottokar », quant à moi, c’est « Tintin au Congo » qui fit mon bonheur. J’étais encore loin d’imaginer à l’époque à quel point c’était pour moi un clin d’œil prémonitoire, puisqu’après mon mariage, j’eus la chance d’aller vivre en Afrique. Papa et Maman nous regardaient pousser des Oh ! et des Ah ! d’émerveillement. Ils étaient heureux…

Le dimanche qui suivait, c’était au tour de tante Jeanne d’apporter tout ce que le patron des enfants lui avait confié à notre intention. Son filleul, Léon, l’amenait en voiture : c’était bien nécessaire, vu le nombre impressionnant de colis qui remplissaient le coffre et l’habitacle de la Fiat 500. Il eût été impossible pour elle de prendre le tram pour venir chez nous ce jour-là. A peine un petit bonjour, et hop !, ils disparaissaient tous deux au salon. Nous étions consignés dans la salle à manger. La curiosité était à son comble et nous tentions, malgré tout, de regarder par la vitre de la porte donnant sur l’enfilade de la « belle salle-à-manger » et du salon, mais Maman ou Papa montaient bonne garde. Enfin, tante Jeanne, flanquée de Léon, venait donner le feu vert !

J’ai gardé longtemps, jusqu’à mon mariage je crois, la superbe poupée en biscuit qui ouvrait et fermait les yeux comme une coquette qu’elle était, revêtue d’une robe féerique en tulle bleu et rose, la tête coiffée d’une capeline de teinte identique. Elle allait même, suprême raffinement pour l’époque, jusqu’à crier « Maman » quand on la berçait d’avant en arrière…

Enfin, last but not least, c’était au tour de mon parrain Léon de nous convier chez lui aux réjouissances de la Saint-Nicolas. Outre l’assiette de friandises bien garnie, chacun avait droit à un livre approprié à son âge, et le fait d’être sa filleule renforçait à mes yeux la valeur de mon cadeau. A l’heure actuelle, certains des livres reçus de mon parrain figurent toujours en bonne place dans ma bibliothèque et je lui en garde une reconnaissance attendrie.

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