Ah, je me souviendrai toute ma vie du 3 septembre 1944.
C’était une journée chaude , chaude dans tous les sens du terme.
Dans la nuit, les Allemands avaient fui sans demander leur reste. Bruxelles ne serait pas Varsovie, de terrible mémoire….
Dans mon quartier, à Uccle, le branle-bas de combat de l’échappée des camions et des chars germaniques avait cessé et y avait succédé, un silence lourd d’espérance et d’inquiétude à la fois.
Et si les Boches revenaient ?
Le jour se levait et peu à peu les habitants sortaient des maisons, aux nouvelles.
Ce serait la fête des A. !
Qui étaient les A. ?…..Un gros magasin d’Alimentation, au coin de l’avenue, à moins de cent mètres de chez moi, tenu par des Luxembourgeois qui avaient régné en maîtres pendant toute l’occupation sur une population en proie à la faim et aux privations.
Madame A. , une grosse blonde dans la quarantaine, avait dicté sa loi, exigeant - comme tout commerçant d’ailleurs- les timbres de ravitaillement, multipliant les gestes d’impatience, l’œil soupçonneux, l’air autoritaire, la méchanceté aux lèvres.
La populace grossissait devant les vitrines et les portes curieusement fermées.
Brusquement, ce fut l’assaut…..
Munis de marteaux des hommes courageux après le danger, cassèrent les vitres, éventrèrent le magasin et la foule se précipita pour la mise à sac, dans un grand concert de cris et de vociférations de haine.
A mort les A. !…. Où se cachaient-ils ces salauds, ces profiteurs de guerre ?
Au risque de se blesser, les gens s’emparaient de tout et de n’ importe quoi, jetant les caisses enregistreuses sur les trottoirs, emportant les denrées alimentaires dans leurs bras, les rouleaux de papier hygiénique, les bouteilles de toute sorte, les gros jambons, les salades, tout, tout….
C’était la curée, le déchaînement des passions mauvaises, le défoulement des instincts….
Du haut de mes 11 ans, j’assistais, médusée, à ce spectacle de folie.
A un moment, une grande clameur parvint aux oreilles de tout le monde, agité de sentiments divers.
On venait de mettre la main sur la collabo, une jeune femme arrachée de son lit, encore chaud du corps d’un boche qui avait du quitter ce lit d’infamie précipitamment, on l’imagine !
Traînée par les cheveux, souillée par les crachats des femmes haineuses, houspillée sous les insultes ….. »Salope, tu vas payer, pute des Boches, roulure…. »
Elle était aussitôt saisie par deux hommes brandissant des couteaux de tailleur qui s’attaquaient à sa tignasse, entaillant le cuir chevelu, couvrant son visage de sang tandis qu’elle pleurait, les yeux baissés, pour ne pas voir la furie autour d’elle.
Personne pour la protéger de la vindicte populaire, aucune police pour rétablir un semblant d’ordre…
C’était le règne de la rue qui se vengeait, en patriote lâche de la dernière heure.
Ce fut une grande leçon de vie que je reçus ce jour là et qui devait me marquer à jamais.
clodomir Répondre
quelque chose du même genre s’est passé dans mon village (Esneux)où des "résistants" de la dernière heure ont regroupé les "collabos", rexistes ou supposés tels et les ont promenés dans le village ligotés, en caleçon ; et les gens (surtout les jeunes hommes) venaient les insulter, les frapper, les enduire de sirop...
Spectacle éceurant illustratif de la bassesse humaine quand l’impunité est assurée.
Mon père était le seul policier survivant de la commune ; il a dit aux organisateurs :" si j’étais maître ici, vous ne pourriez pas faire ça" mais il était impuissant face aux "résistants" qui avaient des mitraillettes et l’apparence de la légitimité.