Ce texte est issu de notre recueil d’histoires vécues imprimé sous forme de livre « 123 j’ai vu - Des seniors d’aujourd’hui racontent leur enfance d’hier »

Début des années 1980. Mon fils a environ sept, huit ans. Nous revenons en voiture de l’école. Moi, absorbée par la conduite, lui, bien sagement assis à l’arrière, silencieux. Soudain, j’entends une petite voix : « Dis, Maman, comment le Papa, il met la petite graine ? » Difficile de répondre à ce délicat problème, un œil sur le feu qui risque de passer à l’orange, l’autre sur les véhicules qui encombrent la chaussée… J’ai remis à plus tard la grande explication. J’ai d’ailleurs, en réserve, un excellent livre d’images qui aborde la question avec toute la délicatesse requise. Mais quelle différence avec ma propre enfance !

Début des années 1950.Au même âge, je ne me pose plus de questions puisque je connais la réponse : c’est la cigogne qui apporte les bébés. Maman me l’a dit et une grande personne ne se trompe jamais. D’ailleurs, cette cigogne vole à tire d’aile sur toutes les boîtes de dragées, tenant dans son bec un linge blanc d’où sort le crâne rose du bébé. Mieux, je l’ai vue ! Chaque fois que je traverse le boulevard, je n’ai qu’à lever la tête et je peux l’admirer, fièrement dressée sur le pignon de la maison du coin. Certes, le volatile qui doit représenter un quelconque oiseau fabuleux est fait de métal, mais cela ne me gêne pas. Après tout, les cloches de bronze de l’église voisine m’apportent bien des œufs en chocolat…

Je ne pose pas non plus de questions aux adultes, je leur explique : « Savez-vous pourquoi, moi, blanche, j’ai un enfant noir ? … » Ce discours, il paraît que je l’ai tenu, au grand effroi de ma mère, dans un ascenseur. J’y serrais alors contre moi une de ces innombrables poupées « nègres » - comme on disait alors - qui se sont succédé dans mes bras et qui toutes se nommaient Malicoco. C’était l’époque du colonialisme naïf et décomplexé ! Et, au grand soulagement maternel, j’ai résolu ainsi ce délicat problème : « C’est très simple, j’ai demandé à la cigogne des Noirs de me l’apporter… »

Elle avait bon dos, la cigogne ! Tout comme les choux, pour les garçons, et les roses, pour les filles. Elle m’a satisfaite jusqu’à mes dix, onze ans. J’ai fréquenté alors une fillette à l’adolescence plus précoce. Elle m’a fait remarquer ce que je n’avais jamais vu : le ventre proéminent des femmes enceintes. Une grande question s’est alors imposée à nous : « Comment sort-il de là ? ».

Le problème est longuement débattu dans le plus grand secret. A court d’hypothèses, nous nous rallions à la démarche expérimentale et examinons nos corps de fillettes impubères : pas de tirette au milieu du ventre, comme nous l’avons un temps imaginé… par contre, notre nombril ressemble furieusement à un bouton-pression. Le ventre de la future mère gonfle et l’enfant sort grâce à ce bouton-pression. Cette explication apaise notre curiosité, nous pouvons enfin passer à d’autres préoccupations. Il est à cette époque des sujets qu’on n’aborde pas avec les adultes.

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