Avant tout, pour la bonne compréhension du récit, je dois vous confier que du côté maternel, nous avions hérité - sans droit de succession - d’un nez Bourbon.
Faut-il le préciser, ce détail signalétique qui ne nous apparentait cependant pas aux Rois de France, était perçu par le commun des mortels comme une tare au milieu du visage, en deux mots : un nez de Juif.

Un après-midi ensoleillé de septembre 1943, au retour de l’école, dans l’avenue Coghen où nous habitions, je tombai nez à nez avec un officier allemand, observateur et désireux de faire du zèle. M’ayant dévisagé, il m’intima l’ordre de le suivre jusqu’au cantonnement de son unité à un quart d’heure de là pour interrogatoire.
Pétrifié par la peur, je ne vois pas ce qu’on me voulait. Imaginez ce jeune garçon de 10 ans retenant ses larmes qui suivit jusqu’à la caserne ce grand militaire, à la démarche cadencée par le bruit de ses bottes.

Renseignements pris, mon père est appelé d’urgence de son travail. Je subis sans comprendre un traître mot, l’engueulade qu’en présence du commandant du cantonnement, mon paternel, furibard, fit subir, dans un allemand impeccable, au malheureux officier qui avait fait du zèle, croyant bien faire.
Son supérieur prit le relais, d’abord en calmant mon père, puis en agonisant d’injures l’imbécile qui, par son attitude, avait compromis l’amitié entre deux peuples, momentanément exposés aux rigueurs de la guerre.
A ses yeux, l’impair impardonnable commis par ce jeune idiot devait être sanctionné durement comme une atteinte à l’honneur de l’armée allemande.
Se confondant en excuses auprès de nous, le commandant embarrassé nous demanda comme une supplique de ne pas ébruiter cet écart de conduite irresponsable d’un fanatique.

2 commentaires Répondre

  • FLOX Répondre

    Ben oui, l’Histoire a ses nez...et nous avons tous nos petites histoires... pleines de nez ! J’en ai retrouvé deux dans ma mémoire, de ces histoires, que tu savoureras, j’espère.... les doigts dans le nez ! 😄))

    La plus ancienne d’abord :
    à l’âge de 13 ans et pendant trois ans, je fus "internée"... dans un lycée qualifié d’Ecole Normale".. ; mais qui n’avait de normal pour moi que le fait que j’allais y étudier (ce que j’aimais faire d’ailleurs). J’y fus admise en préparatoire, sur dérogation car avec un an d’avance sur mes condisciples, et je me retrouvai donc un beau jour, petite wallonne vivant à Bruxelles, encadrée de Flamandes venus de tous les coins de Flandre, pour y apprendre la langue de Vondel... C’était à Gijzegem, non loin de Aalst (prononcer OOOOLCHT), internat (alors encore appelé pensionnat)gouverné de mains de maîtres par les Soeurs de St Vincent de Paul.
    Dès le premier jour, en pleine salle d’étude du soir et donc "publiquement" devant les quelque 200 flamandes que j’allais rencontrer ensuite chaque jour, la directrice de l’établissement m’asséna la première consigne que j’aurais dorénavant à respecter : "Vous pourrez parler autant que vous le voudrez... même en classe, et même pour interrompre un cours par vos questions..(j’avais déjà cette "curieuse" habitude et elle en avait sans nul doute été informée..) . Mais vous devrez le faire en flamand... et seulement en flamand ! ".
    Et je dois à la vérité de préciser ici que je n’en connaissais que deux ou trois mots, un peu d’anglais seulement ayant jusque-là agrémenté les cours de l’année précédente.

    BOF ! Je m’y suis mise... L’immersion complète, comme on l’a appelée plus tard, ça aide, dans ces cas-là ! Et très vite, j’ai assimilé les fantaisies et autres particularités des dialectes de mes condisciples.. en même temps que la grammaire du "Beschaafd Nederlands - nieuwe spelling" que l’on m’enseigna.
    Avec le sourire et beaucoup de rires aussi, parfois.
    Jusqu’au jour où, à la récréation dans l’immense cour, je me suis sentie "à nulle autre pareille" : pour un oui - ou pour un non ? - lancé mal à propos en français... je me suis entendue traiter de JODEN NEUS ! Je me suis tue.. pétrifiée et le nez glacé... et je n’ai jamais dit que chez mes parents, avant mes années d’internat et pendant près de trois ans, une jeune femme juive polonaise a dormi à côté de moi, pour échapper aux Allemands.

    C’était en 1945... La moitié du pensionnat était "réquisitionnée" pour y loger des militaires alliés. Cette année-là, ils étaient Ecossais... Et nous étions chaque matin réveillées au son des cornemuses... à 5 h... été comme hiver.
    **
    Et voici la 2de :
    Les années ont passé... Je n’ai pas encore vingt ans, mais presque. J’avais pris le tram 16 pour aller Place de l’Yser. Un de ces bons vieux trams dont la flèche "sautait" parfois et ouverts à tous vents, dont nous sautions en marche, avant l’arrêt. Ce que j’avais fait ce matin-là.. juste au bon moment, dans le "tournant". Je me retrouvais donc sur la place, pas encore encombrée par les voitures, le grand Garage Citroën en face de moi. C’était l’été. J’étais en robe fleurie, cheveux sagement tirés en arrière par une queue de cheval flottant joyeusement. Je fus accostée (poliment ! oui oui ) par un jeune homme qui me déclara : "Mademoiselle, je suis peintre.. Vous avez un si beau nez. Que votre coiffure met si bien en valeur ! Accepteriez-vous de poser pour moi....."
    Je ne l’ai pas laissé finir sa phrase ! J’ai levé le nez et le menton en même temps.. et je lui ai tourné le dos ! le laissant cloué sur place.

    Qui sait ? j’aurais peut-être dû accepter cette proposition. A l’époque,elle n’avait certes rien de mahonnête... Et peut-être même que je sourirais aujourd’hui, sous mon nez, dans un portrait signé par une artiste à la réputation reconnue !

    Tant pis ! Car je n’ai plus vingt ans.... et la nostalgie n’est plus ce qu’elle était !

    FLOX

  • girouette Répondre

    Comme quoi...

    Est-ce que tu as eu des amis juifs pendant la guerre qui ont vécu la même chose ? Peux-tu m’en dire plus ?

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