Nous nous marions en 1960 à l’âge de 22 et 25 ans. Nous n’avons jamais eu ni l’idée ni la possibilité de discuter de la sexualité… C’est un tabou à l’époque. Et nos mères ignorantes sont bien incapables de nous parler de quoi que ce soit. Rares sont les filles à qui on a pu expliquer convenablement ce que sont les menstruations. Je me trouve rapidement enceinte d’un bébé prévu pour naître au mois d’avril 1961.
Catherine qui a toujours été pressée, naît le 1er mars, nous surprenant après huit mois de grossesse. Avant que je quitte la maternité mon médecin me lance un peu autoritairement : « vous n’allez pas remettre cela tout de suite ! ». Je suis quelque peu interloquée : que veut-il dire ? Il nous parle alors de la possibilité radicale de contrôler les naissances, de trouver un équilibre, une sorte de « rationalité » entre notre désir d’enfant et nos capacités éducatives et financières. Nous venons tous les deux de familles qui n’ont pas eu cette chance et je me souviens du jour où ma mère nous lança à un de mes frères et à moi : « après Jacques, je ne voulais plus d’enfants ». Je me sentais déjà si peu aimée, cela acheva de me convaincre que j’allais devoir faire mon chemin seule. Mon frère, quant à lui, fut terriblement choqué et je suis certaine qu’il ne fut plus jamais le même.
Mais nous sommes face à l’inconnu… Il nous faut faire confiance… Le médecin n’est pas un jeune casse-cou mais un homme d’une soixantaine d’années. Une certaine presse relate des choses idiotes à propos des femmes sous contraception : femmes à barbe, risquant la stérilité à court terme, agressives vis-à-vis des hommes… Et la méfiance règne d’autant plus que nous sommes encore en plein désastre de "l’affaire du Softénon » en 1960-61. Il faudra résister, se convaincre qu’on fait bien. S’il faut attendre que la pilule soit mieux connue, cela signifie avoir rapidement d’autres enfants et ce n’est pas notre projet. Mon mari est complètement conquis, il me laisse la décision finale. Je pense que c’est facile pour lui, je prends tous les risques. Je décide néanmoins de sauter le pas.
Mais comment se rassurer par rapport à la résistance du milieu ? Il y a une sorte de jalousie rampante de nos mères qui nous voient jouir d’une liberté qu’elles n’avaient pas osé rêver et une Eglise catholique qui ne cesse de hurler au sacrilège. Nos amis, mes belles-sœurs se trouvent déjà à la tête de trois ou quatre enfants et soupirent quand un nouveau s’annonce. Ils restent médusés par notre audace. Dans le fond, ils désapprouvent. Nous nous attirons les foudres. Mais faire comme mes parents : jamais ! Ma mère avait eu sept enfants en dix ans et estimait que la guerre lui avait rendu service en éloignant papa. Ma belle-mère ne voit que la médicalisation, c’est forcément mauvais à ses yeux. Il lui faudra du temps avant qu’elle parvienne à considérer que nous avons de la chance. En filigrane de tout cela se profile la question de la fidélité, la femme va donc pouvoir faire « ce qu’elle a envie »… On n’envisage pas encore alors que cela lui permettra d’assurer une profession. Cela viendra plus tard.
Quant à la position des milieux officiels, il faudra longtemps encore avant que la pilule contraceptive soit remboursée par la mutuelle. Nous nous sentons audacieux et bien seuls. Et une petite phrase assassine a le don de vous condamner immédiatement : « mais tu es féministe ! ». Là, on a tout dit. Heureusement nous entrons en relation avec l’Ecole du Mariage ce qui nous permet d’être régulièrement en contact avec un homme à qui nous devons beaucoup : Pierre de Locht. Il a une façon de recentrer les interrogations, de les faire cheminer dans du possible. Ce n’est pas du goût des autorités religieuses et il sera crossé, privé de sa chaire d’enseignement à l’UCL. Mais avec lui nous sommes en marche, nous sentant moins apprentis sorciers.
La pilule que je prenais en 1961 était grosse comme un Mentos. Quand je vis vingt ans plus tard la toute petite pilule que prenait ma fille je n’y croyais pas mais cela montrait aussi que la recherche avait fait bien du progrès en une génération.
Anne-Marie N Répondre
la pilule m’a permis d’être une femme épanouie tout au long de ma vie. Un merveilleux cadeau !