Texte recopié et adapté du manuscrit écrit par Victor D., mon grand-oncle, à la demande de son chef en vue de transmettre un témoignage aux autorités militaires belges et au Roi Albert.
En août 1914, Victor D., et sa jeune épouse Marie F. habitent Tamines.
Le samedi 22 août, dès 3 h. du matin, des combats d’artillerie font rage dans les rues de Tamines entre les Français et les Uhlans (nom des soldats allemands pendant la guerre 14-18). Les civils se cachent comme ils peuvent dans des caves ou des abris de fortune. Certains d’entre eux, dont Victor, sa femme Marie et des amis vont se cacher dans les magasins de l’imprimerie Duculot dont les murs en béton armé offrent, semble-t-il, plus de sécurité.
Vers 14 h. les combats cessent mais personne n’ose s’aventurer dans les rues. Les réfugiés attendent encore une heure. Puis certains, désirant savoir ce qu’il se passe, s’aventurent hors de l’abri. Ils se font immédiatement appréhender par les Uhlans qui profitent de cette sortie pour entrer dans l’atelier, fouiller toutes les personnes. Tous sont faits prisonniers.
Entourés de soldats, les prisonniers civils, hommes, femmes et enfants, sont conduits place St. Martin. Le spectacle qui s’offre à leurs yeux est désolant : les maisons incendiées, des cadavres de civils carbonisés, des cadavres de chevaux… Vers 17 h. les prisonniers, qui viennent de partout, sont déjà au nombre de 3 à 400. Les hommes sont enfermés dans l’église tandis que les femmes et enfants le sont dans l’école des Sœurs. Le nombre de prisonniers civils augmente toujours.
Vers 20 h., les hommes sont ramenés place St. Martin sous prétexte de creuser des tranchées. Place St. Martin, les prisonniers sont rangés face à la Sambre sur un front de 200 hommes avec 4 rangs d’épaisseur. Les prisonniers sont à ce moment près de 800. La dernière rangée est à environ 1,50 m. de la Sambre. Un officier Allemand crie : » Si les Français tirent encore, vous serez les premiers exposés au feu ! ». Après cet avis, un soldat allemand tire en l’air ; par bonheur ce coup de feu ne reçoit aucune réponse. Ordre est donné aux prisonniers de s’asseoir, puis de se relever, puis de faire demi-tour, puis de crier par 3 fois « vive l’Allemagne », puis de faire un quart de tour. A un moment, un soldat allemand passe le long des rangs et dit « pas peur, on ne vous fera pas de mal.. »
Cet Uhlan est à peine rentré dans ses rangs que les prisonniers entendent le commandement sec d’un officier. Tout de suite les soldats épaulent et font feu. Tout le monde tombe ; certains touchés à mort, d’autres blessés et d’autres encore indemnes… dont Victor.
Les Uhlans ordonnent de se relever, sinon ils seront achevés par baïonnettes. A ce moment se livre en Victor le combat le plus terrible que l’instinct de conservation puisse livrer. Que faire pour se soustraire au danger ?
Victor n’a pas à chercher longtemps : des hommes se jettent à la Sambre et il n’hésite pas à les imiter. Mais il ne sait pas nager ! Tombé à l’eau, il se cramponne à une touffe d’herbes ne sortant la tête que pour respirer. Ceux qui savent nager tentent de traverser la Sambre et de se réfugier de l’autre côté (tous les ponts ayant été détruits, ils sont sûrs de ne pas être poursuivis). Mais hélas ! c’est un beau clair de lune et ils servent de cibles aux balles des soldats allemands.
Enfin les Uhlans se retirent de la rive. Victor commence alors à descendre la Sambre en se cramponnant toujours de brassée en brassée aux herbes du rivage. Il continue cet exercice jusqu’à un buisson au dessous duquel il se blottit, à 250 m. de l’endroit où il s’est jeté à l’eau. A peine installé dans ce refuge retentit une 2ème salve tirée sur ceux qui s’étaient relevés. Quelques instants après, un nouveau commandement « relevez-vous ! » et enfin une 3ème salve, mais cette fois à la mitrailleuse. Puis le calme revient sur la place.
Victor continue à fuir, descend la Sambre encore 1 km de la même façon qu’il avait fait les 250 premiers mètres et attend jusque minuit. N’entendant toujours plus rien il se décide à sortir de l’eau pour regagner si possible sa maison et enfiler des vêtements secs.
Mais avant de s’éloigner de la Sambre, il aide 2 hommes qui avaient réussi à se sauver comme lui. Ils sont blessés : le premier a le pied troué par une balle et le second est frappé à l’épaule.
Victor cherche à regagner sa maison par le jardin. Mais arrivé à 20 mètres, il entend parler ; l’immeuble est occupé par des soldats allemands ! Il se cache en se couchant entre les lignes de haricots à perche de son jardin pour attendre le moment propice à une fuite.
Vers 10 h. du matin –le dimanche 23 août- Victor n’a toujours pas bougé de sa cachette. Cette situation est inconfortable d’autant plus qu’il pleut depuis près de 7 heures.
A ce moment il aperçoit au bout du jardin un collègue de travail échappé miraculeusement comme lui. Trois hommes, aussi rescapés, l’accompagnent et ensemble ils décident de regagner Namur coûte que coûte. Sans être vus ni inquiétés, traversant haies et jardins ils atteignent le charbonnage d’Auvelais où ils retrouvent 21 autres rescapés parmi lesquels un ingénieur des charbonnages. Dans la galerie qui les abrite, ils se lavent et se sèchent tant bien que mal et se réconfortent d’un peu de pain sec et d’eau donnés par des braves gens d’Auvelais.
Mais, vers une heure, des nouvelles troupes allemandes sont signalées sur le terril du charbonnage. Pour se soustraire à ce nouveau danger les rescapés décident, sur la proposition de l’ingénieur, de descendre dans une fosse abandonnée. Muni de 3 lampes de poche électriques et emportant pour toute provision un pain de 2 kilos, le groupe gagne par des échelles son nouveau refuge situé à une profondeur de 209mètres.
Le lendemain, lundi midi, 4 des rescapés remontent à la surface pour s’enquérir de la situation. Une heure plus tard, toujours sans nouvelle, les derniers rescapés remontent eux-aussi à la surface.
Deux problèmes restent à résoudre : chercher du travail pour se procurer de la nourriture et retrouver les membres de sa famille ; vivent-ils encore ? La solution du premier problème est trouvée par le chef-machiniste du charbonnage qui embauche les rescapés pour tirer l’eau des puits contre nourriture et logement. Le soir venu, tous, exténués prennent un repos bien mérité.
Le lendemain, mardi, à peine se mettent-ils au travail que tous sont réquisitionnés par l’autorité militaire pour repêcher, sous la surveillance de soldats armés, les cadavres des civils qui passent sur la Sambre et les enterrer. Tous sont occupés à cette triste besogne jusqu’au mercredi soir. Pendant ces deux jours, ils repêchent et enterrent 64 cadavres parmi lesquels Victor reconnaît quelques amis et connaissances…
Le jeudi, Victor et quelques amis, n’en pouvant plus d’être sans nouvelle des leurs, se font raser la barbe et couper les cheveux et prennent la fuite.
Et le jeudi midi, Victor a l’immense joie de retrouver sa femme en compagnie d’épouses de compagnons d’infortune ; Marie, qui ne s’attendait plus à retrouver son mari, en est tombée évanouie… un revenant !
Après avoir dîné à quatre, Victor et Marie regagnent Velaine où ils retrouvent enfin le calme, le repos et la sécurité.
ELISA Répondre
Tamines domine.... seul lien que ma mémoire a avec cette ville... Ce n’était pas une pub pour des poêles au charbon ?