Quelques semaines plus tard, les détenues apprennent qu’il y aura bientôt un prochain transport. Ce mot « transport » suscite en elles une terrible anxiété. Toutes se souviennent de leur premier voyage en wagons à bestiaux sans boire ni manger et s’inquiètent de la destination. Certaines font allusion aux camps de travail en Sibérie ou à un camp d’extermination ou encore à un camp où la vie serait moins dure. Effectivement, Mouchka fait partie d’un convoi de 400 femmes qui partent en wagons de chemin de fer, puis font ensuite une très longue marche à 250 le 7 mars 1945. 150 femmes meurent en route. Les gardiens n’hésitent pas à tirer sur les plus affaiblies ou sur celles qui tombent. C’est à nouveau l’horreur : « Nous arrivons à Monthausen. Là, il y a aussi des chambres à gaz et nous sommes dépouillées d’emblée des quelques objets que nous nous étions procurés au prix d’échanges de nourriture : une cuillère, un crayon, une demi-brosse à dent. Ensuite, ils nous mettent toutes nues devant les hommes auxquels le camp était réservé jusque là. Nous devions prendre une douche et avoir le corps rasé complètement pour la plupart, même les cheveux étaient tondus. Notre désarroi était à son comble. Les allemands nous disaient que c’étaient des mesures prophylactiques. » Dans ce nouveau malheur, quelques-unes ont la chance de ne pas avoir les cheveux complètement rasés mais seulement coupés à ras ; Mouchka fait partie du lot. Elle reçoit un nouveau n° de matricule, le 2646. « Après quelques jours, les loques dont nous étions affublées sont remplacées par des vêtements civils sur lesquels un carré jaune en cretonne est cousu. » Les hommes de ce camp, pour la plupart prisonniers de droit commun et prisonniers politiques, tentent de survivre eux aussi. Ils essayent de les aider et les mettent en garde rapidement : il y a à Monthausen un bordel pour les gardiens. Les jeunes filles seront fort sollicitées. Les jeunes comme Mouchka tentent de se vieillir, elles se dissimulent parmi les personnes âgées et sont terriblement inquiètes de recevoir l’ordre d’être prostituées.
Dans un premier temps, Mouchka se voit affectée au déblaiement de la voie ferrée d’Amstetten, puis au kommando triage de vêtements. Un officier allemand l’emmène dans une baraque en dehors du camp et lui montre le monceau de vêtements ayant appartenu aux détenus. Il y a aussi des objets personnels. « Il me dit de mettre de l’ordre et me laisse seule toute la journée à travailler. Le soir, il constate que le travail n’a pas assez avancé et me traite de Française paresseuse. Puis, il me propose d’engager d’autres détenues et choisit trois jeunes filles malades et épuisées. Cet Allemand nous laissait travailler et ne nous contrôlait pas. » « Je ne sus jamais si cet homme nous avait protégées du pire ou s’il était indifférent, mais ce fut une bonne cachette et nous avions droit à une soupe de plus. » « J’avais aussi fait la connaissance de détenus pharmaciens qui nous donnaient des médicaments que nous introduisions dans le camp ».
« Nous n’étions pas au courant de l’avancement des troupes alliées. » Les jours passent et, le 22 avril 1945, Mouchka est miraculeusement libérée. Désignée par l’officier allemand qui l’avait engagée, elle fait partie d’un convoi d’échange de prisonniers organisé par la Croix Rouge Suisse. « Cet officier m’a sauvé la vie et je lui ai demandé pourquoi moi ? » Il m’a répondu que sa fille était en prison chez les Américains.
« Dernière péripétie : alors que nous roulons vers la liberté, notre convoi est stoppé à la frontière et des rumeurs circulent. Himmler aurait donner l’ordre d’annuler l’échange ! Heureusement tout fini par s’arranger. »
« Ce qui m’a paru le plus insupportable, ce fut la vermine et le froid davantage que la faim. L’hiver 1944-45 surtout. La présence de ma maman n’était pas une chance car nous nous voyions souffrir l’une et l’autre. Je l’ai perdue alors qu’elle n’avait pas soixante ans. Malgré la souffrance, il existait une très grande solidarité entre nous tous. J’ai toujours continué à espérer et je n’ai jamais abandonné ».
Mouchka arrive à Paris le 2 mai 1945, épuisée et malade, quelques jours avant la capitulation de l’Allemagne.