C’est au camp de triage de Romainville que Mouchka retrouve sa mère. Celle-ci a été traitée correctement, bien davantage qu’elle-même qu’ils prenaient pour un membre important du réseau. Le 7 avril 1943, la maman et la fille partent ensemble pour Ravensbrück (le pont des corbeaux) au Nord-Est de l’Allemagne, un camp de concentration réservé aux femmes et aux enfants.
Pendant la guerre 1940-45, peu de personnes connaissaient l’existence des camps de concentration. Les gens parlaient de prisonniers de guerre et avaient peur de devoir partir dans un camp de travail. Lorsque Mouchka et sa maman partent pour Ravensbrück, elles pensent naïvement arriver dans un camp de travail et sont tout à fait ignorantes du calvaire qu’elles vont y vivre.
Leur voyage est très pénible. Elles sont entassées à plus de soixante femmes dans des wagons à bestiaux, sans boire ni manger, sans pouvoir ni s’allonger ni même s’asseoir. Il y a un seul seau hygiénique et les gardes les menacent quand, aux arrêts, certaines tentent de descendre pour aller uriner ou envisagent peut-être de s’échapper. Le transport dure six jours. Le 13 avril 1943, lorsqu’elles arrivent à destination, toutes ces femmes sont affaiblies par le manque de nourriture, les mauvais traitements et surtout la prise de conscience qu’il s’agit d’autre chose qu’un camp de travail !
A l’arrivée, elles doivent se rendre aux douches et les allemands leur confisquent ce qu’elles sont parvenues à garder jusque là : un peigne, une brosse à dents, une culotte de rechange, parfois une alliance… Elles enfilent des robes de prisonnières. Mouchka reçoit le n° de matricule 35.303. Ces femmes sont séparées et dispersées dans des baraquements. Elles sont installées pour la nuit à six sur des « châlits » en bois, avec des matelas de paille et une seule couverture par personne et toujours sans avoir mangé. Mouchka arrive discrètement à rester près de sa mère en évitant de lui parler, en faisant comme si elles ne se connaissaient pas. A peine couchées, elles se rendent compte quelles sont envahies de poux et de puces.
Ce n’est que le lendemain qu’elles reçoivent ce qui deviendra leur ration quotidienne : quatre minces tranches de son, une tasse de malt ou une « soupe », c’est-à-dire de l’eau tiède avec quelques morceaux de rhutabaga. Elles étaient déjà affamées en arrivant et seront bientôt terriblement sous-alimentées. Certaines tombent en syncope, d’autres tombent malades. Mouchka et sa mère sont désignées pour le kommando des travaux forcés. Ce n’est qu’après plusieurs semaines que la jeune fille parviendra à faire entrer sa maman épuisée dans le kommando des tricoteuses de chaussettes (pour les soldats de l’armée), ce qui permettra à sa maman, alors âgée de cinquante huit ans, d’être assise.
Dans le kommando des travaux forcés, les plus jeunes et fortes sont désignées pour le kommando sable qui consiste à creuser toute la journée des trous et à déplacer du sable d’un trou à l’autre ! Aucune d’entre-elles n’a jamais compris quel était le sens de ce travail, si ce n’était celui de les abrutir et de les épuiser psychologiquement. Les surveillants ont de grands chiens qu’ils n’hésitent pas à lancer sur celles qui ne travaillent pas au même rythme que les autres ou qui s’éloignent un instant pour souffler ou pour un besoin pressant.
C’est à partir de ce moment-là que Mouchka commencera à apprendre les langues étrangères. Elles ne sont que très peu de françaises, beaucoup sont polonaises. Les gardes crient des ordres en allemand. Parfois, pour se faire comprendre, elle tente de murmurer quelques paroles accompagnées d’un geste.
« Ce qui était très pénible c’étaient les appels du matin et du soir qui s’éternisaient et auxquels aucune de nous ne pouvait échapper. C’était au cours de ceux-ci que nous voyions tomber les plus faibles, sans pouvoir les secourir. Elles étaient relevées à coups de pieds par les gardiens. Nous étions toutes peu armées contre la maladie et la faiblesse à cause non seulement de la faim qui nous tenaillait mais aussi de la détresse dans laquelle nous étions. Beaucoup d’entre nous avaient disparu des appels. Nous avons compris peu à peu qu’elles ne s’étaient pas enfouies, comme nous l’espérions, mais qu’elles avaient été brulées dans les fours crématoires. »
Un jour Mouchka est punie pour être intervenue lorsqu’une jeune femme a été battue par les gardes. Sa punition consiste à effectuer la plus basse des corvées, celle d’évacuer toute la journée le contenu des latrines vers l’extérieur du camp, ce qui est non seulement repoussant mais surtout épuisant psychologiquement et physiquement.
Elle sera « stérilisée » par le terrible docteur Gebhart qui fait différentes expériences sur les jeunes femmes. Elle ne put donc avoir d’enfant. Elle n’en parle que très rarement.
Un peu plus tard elle reçoit une nouvelle attribution : elle est mise au commandement du kommando de la forêt dont la tâche consiste à abattre des arbres et à les débiter en stères. « C’est le travail le plus lourd que nous ayons eu à faire mais nous avions l’avantage d’être en dehors du camp et nous recevions une pomme de terre de plus par jour. Nous la faisions cuire sur le feu des gardiens. J’avais tellement faim et froid, j’étais si fatiguée, remplie de vermine. Nous devions à longueur de journée respirer les odeurs de chambres à gaz, être imprégnées de cette odeur et faire face à la peur. (…) Je me trouvais abaissée au plus bas de l’insupportable. J’étais devenue comme la peste. Je n’avais plus qu’une robe en loques sur ma peau. Alors ce nouveau travail et ses conditions furent comme une ouverture vers l’extérieur. »
Ces meilleures conditions sont interrompues par un nouvel épisode : Mouchka est blessée involontairement à la tête par une autre travailleuse au cours d’un abattage. Elle est admise à l’infirmerie et y apprend que sa maman, avec laquelle elle a perdu contact, est à l’infirmerie des mourants. Elle se débrouille pour la retrouver en troquant sa ration de repas avec une détenue infirmière. Pendant le temps où Mouchka travaillait à l’extérieur du camp, sa mère, astreinte à un nouveau travail, n’a pas pu résister. Mouchka parvient à la rejoindre et assiste à ses derniers moments de vie. « Et maman me reconnait » dit-elle pudiquement. Surprise au chevet de la mourante sans en avoir reçu l’autorisation, elle se voit infliger le « privilège » de transporter sa maman morte sur une charrette à bras pour la conduire au four crématoire.
Biernaux Jean Répondre
Merci pour votre témoignage. Je suis né avant la guerre et je me souviens des rafles auxquelles j’ai échappé, j’étais blond ! MLa mère oparklait peu de ses deux frères déportés dès 1941. Mais nous vivions dans la terreur. Ils ne sont jamais revenus. EN 1956, j’ai a^ppris que l’un était mort en Pologne dès 1941. En 2003, j’ai découvert que l’autre avait été assassiné à Pennmunde, jeté dans un navire avec des millers de prisonniers qui sera coulé en ahute mer par les SS. N’oublions pas, même si certains prétendent que cela n’a jamais existé. Le plus grand choc que j’ai eu dans ma profession, c’est la rencontre d’une polonaise en 1963, elle porait son numéro de matricule. Je n’ai plus pu manger.
Elle nous a déclaré : ne vous en faites pas, la vie est plus forte que la mort.