Ce dimanche 20 juin, je suis arrivé à Arzua, à 40km de Santiago de Compostelle. Dans 2 jours, j’arriverai à Saint Jacques de Compostelle, si Dieu le veut bien. Durant le Chemin, j’ai rencontré toutes sortes de gens (homme ou femme, jeune ou vieux, intellectuel ou manuel), venus des 5 continents (Amérique du Nord et du Sud, Europe, Asie, Afrique et Océanie), provenant de 34 pays différents et avec qui j’ai partagé soit une conversation, soit une blague, soit un repas, soit un bout de marche. Je peux même mettre les visages sur chaque pays. Chaque rencontre m´a apporté quelque chose. Mais voici les 3 volets de la rencontre la plus surprenante que je peux qualifier de « non-rencontre » :

Premier volet

Cela s’est passé tout au début de mon Chemin. Comme c’était le début, je faisais de petites étapes de 15 à 20 km par jour. Ce jour-là, après avoir fait 15 km et comme je me sentais en forme et qu’il était encore tôt, j’ai décidé de pousser plus loin. Arrivé dans le village où le Guide mentionne un gîte avec chambre d’hôte, malheureusement le gîte est fermé et je me résigne à faire 5 kilomètres de plus. Je consulte le Guide qui mentionne un gîte privé mais qu’il faut prévenir la veille par téléphone. Comme il est déjà trop tard pour le faire, je décide de tenter ma chance en y allant quand même. Arrivé dans ce hameau qui s’appelle curieusement ´Le Chemin´, et comme je ne sais à qui m’adresser, je me promène dans ce village qui se compose d’une vingtaine de maisons, à la recherche d’un refuge pour pèlerin. Il commence à se faire tard et pas un chat dans la rue, pas de lumière aux fenêtres des maisons. Je commence à avoir un peu d’inquiétude : je ne peux même pas dormir à la belle étoile, n’ayant pas de tente et ayant tout juste un léger sac de couchage. Voyant une vieille ferme à l’écart, je me résous à entrer dans la cour et devant une petite maison, je secoue la clochette devant la porte.
Aussitôt, une vieille dame de 80 ans ouvre la porte. Je me présente : « Bonjour Madame, je suis un pèlerin de Saint Jacques de Compostelle ». Elle me regarde et me dit simplement « Vous venez chercher les clés ? ». Je suis resté sans voix, ne comprenant pas de quelles clés il s´agissait …
C’est comme si vous mouriez et que vous montiez au ciel et sonniez à la porte du paradis. Saint Pierre est sorti, et vous regardant, il se contente de vous dire « Vous venez chercher les clés ? ».
Reprenant mes esprits, je demande à la vieille dame : « Le responsable du refuge n´est-il pas là ? ».
« Oh que non, me répond-elle, il ne vient presque jamais. Quand il vient, c est pour ravitailler le refuge. C’est un monsieur hollandais, il me confie les clés pour les pèlerins. Si vous êtes pèlerin, je peux vous y amener ».
Sous le choc de l’émotion, je ne peux que lui faire signe OUI. Et elle m’amène jusqu’au refuge qui se trouvait quelques maisons plus loin...

Deuxième volet

Après avoir poussé le portail d’une vieille ferme restaurée, elle m’ouvre la porte du refuge. C’est une aile d’une fermette, dotée de tout le nécessaire pour y loger : une douche sans eau chaude, 2 petits lits, un canapé-lit, un coin cuisine avec une bouilloire électrique pour faire de l’eau chaude. Tout est sommaire mais confortable. Il y a dans l´armoire des provisions de survie : sachets de thé, café soluble, sucre, sachets de soupe et quelques boîtes de conserve.
La vieille dame me dit alors : « Vous êtes ici chez vous. Demain matin, quand vous partirez, vous me ramènerez les clés ».
Je me suis fait du thé et une tasse de soupe. J’ai ouvert une boîte de thon et j’ai mangé. En mangeant, je parcourais le petit tableau sur lequel sont épinglés les petits papiers venant de pèlerins (remerciements ou suggestions, entre autres demande d’une douche d’eau chaude). J’ai remarqué aussi un article d’un journal local d’un journaliste qui interviewait l’année passée le propriétaire du refuge. L’article en mentionnait le nom. C’est un hollandais au nom de Karel Musch. En 2004, il avait 56 ans. Connaissant à ce moment des problèmes personnels et familiaux, il avait l’idée de faire le Chemin de Compostelle pour y voir un peu plus clair dans sa vie. Pour cela, il est allé en Bourgogne, dans la région de Vézelay et a commencé à faire quelques entraînements de marche. Durant ces marches, il a remarqué une vieille ferme a vendre. Il l’a achetée et l’a retapée. Et en reconnaissance à St Jacques, il a laissé une aile de cette ferme à la disposition des pèlerins, bénévolement. Et l’article du journal se termine avec cette question du journaliste : « Et maintenant, Mr Musch, vous sentez-vous encore le besoin de faire le Chemin de Compostelle ? ». « Non, répondit-il, je n’ai plus besoin de faire le pèlerinage de Compostelle. Il y a, tous les jours, des pèlerins qui le font a ma place... ».

Les pèlerins qui passent par ce gîte ont l’habitude d’écrire quelques mots dans le Livre d’or du refuge. Ce soir-là, avant d’aller dormir, j’ai écrit ces quelques mots, en néerlandais (le peu qu’il me reste de mes cours du soir de néerlandais) : « Beste Karel, Elke dag, Ik ga naar Santiago, U bent met mij ... Vous ne me connaissiez pas, je ne vous connaissais pas, on ne s’est jamais rencontré, et il est plus que probable que nous ne nous rencontrions jamais, dans cette vie. Mais, dans l’au-delà, nous nous reconnaîtrons, j’en suis certain ... »

Troisième volet

Le lendemain matin, je me suis réveillé. J’ai fait un peu de the chaud et ai mangé quelques biscuits en lisant le règlement intérieur du gîte. Il y a des recommandations dans le genre : « N’oubliez pas de fermer le robinet d’eau et d’éteindre la lumière - Mettez dans la tirelire sur la table l’équivalent en argent de ce que vous avez consommé - Nettoyez bien le refuge et mettez les déchets dans un sac en plastique que vous mettrez au container de la décharge publique qui se trouve au coin de la rue ».
Je me suis conformé à toutes ces recommandations. J’ai fermé la porte du gîte et en le quittant, j’ai jeté le sac de poubelle dans le container de la décharge publique. Ensuite, je suis allé dire au revoir à la vieille dame. Je lui dit au revoir, et lui tournant le dos, alors que je pars, elle me rappelle : « Monsieur, vous avez oublié de me rendre les clés du refuge ». Je retourne les poches de ma veste et celles de mon pantalon : pas de clés. Je lui dit alors : « Peut-être que je les ai laissées sur la porte. Je vais aller les chercher ».
Je retourne au gite. La porte était bien fermée. Mais les clés ne sont pas dessus... Dans pareille circonstance, d’habitude, je refais les mêmes gestes et le même chemin pour essayer de retrouver ce que j’ai perdu. En passant devant la poubelle publique, j’ouvre le container : les clés se trouvaient au fond avec le sac transparent en plastique des déchets. Avec mon bâton de pèlerin, j’ai récupéré les clés que j’ai un peu nettoyées, et je les ai ramenées chez la dame. Mais, je n’ai jamais osé lui dire que je les avais jetées dans la décharge publique…
Au cours de cette journée de marche, je n’ai pas arrêté de penser et repenser aux évènements de cette matinée, en essayant de trouver un SENS à tout cela. A un certain moment, j’ai même cru entendre une voix d’un certain Monsieur Freud qui me murmurait à l’oreille : « Le Chemin, tu l’as trouvé. Tu n’as plus besoin des clés. C’est pour cela que tu les as jetées. Tu peux même rentrer chez toi maintenant ... ».
Mais je ne l’ai pas écouté, et j’ai continué mon Chemin...

Au terme de mon Chemin, ce fut ma plus belle rencontre ...

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