Ce texte fait partie du feuilleton "Ma soeur, cette héroïne", écrit par José T. Lire l’ensemble

L’Allemagne capitula le 7 mai 1945. La "colombe" allait sur ses 22 ans, lorsqu’en juillet 1949, suite à l’intervention des prisonniers politiques survivants, elle reçut officiellement de la ville de Namur un témoignage de vive reconnaissance pour "l’aide clandestine désintéressée leur apportée durant leur détention à la prison de Namur" et fut citée à l’Ordre de l’Armée Secrète.
Mon père put de son côté ajouter une médaille de résistant à la panoplie de ses décorations gagnées à la guerre 14-18 qu’il avait piétinées rageusement le 28 mai 1940 suite à la capitulation royale, et que ma mère avait restaurées et épinglées dans un cadre tout neuf.
A noter, comme le dit le sonnet, que ma sœur n’était plus une enfant depuis longtemps. Partager la souffrance des autres l’avait mûrie avant l’âge. Elle pouvait dire : "Après une telle épreuve, je ne serai plus jamais la même" et je peux dire, à mon tour, la connaissant, qu’elle en resta meurtrie à vie.
La vie ne la ménagea pas. Si son adolescence fut bousculée, ce qui s’ensuivit fut dramatique. Elle se maria très jeune et obtint le divorce après une bataille juridique homérique. Dépression, perte de sommeil, elle n’était pas née pour cultiver le bonheur. Son dernier souci, aujourd’hui, est de veiller sur sa petite fille.
Quand je l’interroge sur ce temps de guerre qui a bouleversé le cours de sa vie, elle prétend avoir tout oublié, refuse d’en parler et rend hommage à l’héroïsme et au courage de nos parents.
Cependant, une question n’a cessé de me tarauder l’esprit…
Comment se peut-il que nous n’ayons pas été inquiétés par la Gestapo ? Un geôlier n’avait-il pas confié à un de nos "clients" que les Allemands avaient connaissance de l’existence d’un "téléphone" entre la prison et l’extérieur ? Des centaines de personnes de toutes origines n’ignoraient rien de nos activités clandestines. Est-il possible qu’aucune ne parla ?
Le commandant de l’Armée Secrète de Nassogne, par exemple, fut averti par nos soins, - un de ses hommes ayant "craché le morceau" sous la torture, le mot de passe, l’emplacement des dépôts de munitions et d’essence dévoilés - que les S.S. projetaient d’éliminer le maquis de Janée.
– Qu’ils viennent ! Nous les attendons de pied ferme, avait rétorqué le commandant Bodart en charge de ce secteur, sur le ton du "nuts" matamoresque du Général américain Mc Aulifft à Bastogne.

Aurait-il pris la même décision s’il avait su que l’assaut serait mené par la Garde et les Légions wallonnes et flamandes renforcées par un escadron blindé de la Wafen S.S. soit plus de 2.500 soldats aguerris et surarmés.
Plusieurs résistants furent capturés et torturés sur place, mais les S.S. perdirent tout de même 185 hommes dans la plus importante bataille que l’Armée Secrète eut à mener sur le territoire belge. S’étant rendu compte que leur plan avait été éventé et que l’Armée Secrète avait eu le temps de s’organiser, les S.S. firent tout pour découvrir d’où la fuite était venue. Personne ne parla.

Ce réseau de communication, dont ma sœur détenait la clef, avait des ramifications sur un très vaste territoire, particulièrement en province de Namur et dans le Brabant wallon, et à Bruxelles même. Nombre de résistants arrêtés auraient pu nous dénoncer sous la torture, ne serait-ce que ceux qui assurèrent la transmission des messages. Jamais rien ne filtra.
Ma sœur Maria prétend que c’est un miracle et que nous le devons à Notre-Dame du Rempart, protectrice de la ville de Namur dont mon père n’oublia jamais le soutien. Jusqu’à sa mort, chaque jour, il la remercia d’avoir protégé sa famille. Grand invalide de guerre, meurtri dans sa chair, gazé, trépané, n’ayant connu d’adolescence que celle qu’il avait passée de seize à vingt ans dans les tranchées du "boyau de la mort", sur l’Yser, dans son esprit seule la foi pouvait expliquer qu’il soit sorti vivant de toutes ces épreuves.
Je ne crois pas au miracle. La chance, oui, le hasard, peut-être le destin ! Je ne sais ce que ces mots sous-entendent sinon qu’ils existent pour expliquer l’inexplicable sans devoir, nécessairement, s’en référer à Dieu ou au Diable. Par contre, je crois au courage et à l’intelligence dont certains hommes sont capables lorsqu’ils sont mis en face de leurs responsabilités. On parle alors de fraternité et d’héroïsme.
J’ai raconté cette histoire précisément pour rendre hommage à la mémoire de ces résistants, de mes valeureux parents et de ma grande sœur, qui fut l’héroïne de mes 12 ans.
Elle refusera probablement de me lire comme elle a refusé systématiquement de répondre à mes questions lorsque je tentais d’éclairer certains aspects de cette période dont elle occupait les premières lignes.
Je l’entends me dire : " Laisse-moi tranquille. Le héros de cette histoire, ce n’est pas moi, c’est papa ! " Ou bien encore : "Je ne veux plus en entendre parler. Cela me fait trop mal".
Qu’elle le veuille ou non, c’est pourtant à son intention que je rapporte cet exceptionnel fait de résistance, afin qu’elle sache qu’elle fut, en ce temps-là, mon héroïne, et combien j’admirais ce qu’elle faisait et combien cela me fâche qu’elle n’en ait pas été récompensée comme il se doit. La vie ne l’a pas gâtée. Ce ne fut pas la seule injustice. Si mon père échappa aux camps de concentration, il connut une mort atroce, rongé par un cancer dans lequel il se noya.
Notre-Dame du Rempart à laquelle il vouait une telle adoration n’aurait-elle pu lui éviter une fin de vie aussi misérable !
Je hais cette femme fétiche aux pieds de laquelle il alluma tant de cierges.

1 commentaire Répondre

  • Lucienne Englebert Répondre

    Ce récit de l’action de ces valeureux résistants force l’admiration, fait aussi froid dans le dos par les risques encourus. Votre soeur EST une héroïne et même vous, tout gamin, vous vous êtes exposé sans compter, sans parler de votre père ! Tout cela ne s’intègre pas sans séquelles sur la vie des survivants. On le comprend bien par la réaction de votre soeur. Je respecte son désir de discrétion mais je vous remercie mille fois pour ce feuilleton bouleversant.Les valeurs qui s’y expriment grandissent l’humanité. Cela fait beaucoup de bien par les temps qui courent....
    Lucienne E.

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