Ce texte fait partie du feuilleton "Ma soeur, cette héroïne", écrit par José T. Lire l’ensemble

Sur tous les fronts, les Allemands commencèrent à connaître la défaite. De plus en plus de civils innocents furent fusillés en représailles aux sabotages de l’Armée Secrète.
"C’est le temps des réquisitions. Les cloches des églises sont décrochées pour se transformer en canon. La Feldgendarmerie traque les hommes valides et les déporte en Allemagne. Les "réfractaires" se regroupent et s’organisent en foyers de résistance. Hélas, les traîtres ne manquent pas. Des délateurs rexistes, auxiliaires belges des nazis se déguisent en "moutons" et infiltrent les réseaux de la Résistance. Bien des résistants tombent dans les filets tendus par la Gestapo.
Namur revit le temps noir de la peste de l’an 1636, traquée par des édits d’interdiction. "Défense de sortir et de se trouver dans la rue si l’on réside dans une maison infestée", "Défense de parler aux gens si…", "Défense…".
Sous le régime du couvre-feu, les nuits ressemblent de plus en plus à une scène d’un théâtre déserté par ses spectateurs. Dans les coulisses se faufilent silencieusement, avec des airs de conspirateurs, des personnages dissimulés sous une cape de crêpe noir, le visage masqué par un loup de même couleur.
Entrant par une porte et sortant par une autre, ils sont poursuivis par des bruits de bottes et des cris gutturaux. Insensiblement, la peur du dehors pénètre, odeur suspecte, au cœur même des maisons. L’oppression est telle qu’on se parle à voix basse".
Jamais l’expression "les murs ont des oreilles" ne fut à ce point d’actualité. On aurait pu, tout aussi bien dire que les murs avaient des yeux. Des délateurs à la solde des occupants rôdaient jour et nuit, dans les rues obscures, oreilles pointées tels des radars, polluant l’air ambiant de la senteur fauve des prédateurs.
Emmenée un beau matin par des hommes en manteau de cuir noir, notre jeune voisine, Gille, disparut sans laisser de trace. Dans notre rue même, d’autres la suivirent : les Magnette, les Massart, les Legrand, les Cajot, les Spiers. Notre rue était maudite. La Gestapo sévissait.
Oh ! Je ne les aimais pas les Boches ! Les surnoms d’animaux qu’on leur attribuait n’étaient pas surfaits : doryphore, cafard, vampire. En regard, mon totem scout," marmotte docile", respirait l’extrême bonté !
En ce temps de servitude, d’isolement et de conjuration latente, il était interdit d’écouter les "Postes ennemis" et de colporter les "bobards" qu’ils émettaient. Chaque soir, nous retrouvait pourtant, l’oreille collée à la poitrine de notre vieux poste de radio, pour entrer en relation avec le monde libre. Ce n’était pas simple : les Boches brouillaient les ondes et il fallait jouer finement avec les boutons, dans le silence absolu, tels des forceurs de coffre, pour trouver la bonne station. C’était mon père qui faisait voyager l’aiguille. Quand ça traînait, il tapait sur le meuble, l’injuriait, ce qui avait pour effet salutaire de lui rendre la parole. Alors des voix brouillées, qui semblaient venir du bout du monde, nous disaient ce que nous avions envie qu’elles nous disent : "Nous les aurons les Boches ! "
Et le lendemain, au risque de me faire prendre, je manifestais ma propre révolte contre l’occupant en crayonnant le "V" de la victoire dans les urinoirs de l’école paroissiale

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