Ce texte fait partie du feuilleton "Ma soeur, cette héroïne", écrit par José T. Lire l’ensemble

Les rideaux sont tirés, la fenêtre entrebâillée et, par ce petit espace ménagé que ma sœur gagne en rampant pour éviter l’œil de la Gestapo toujours aux aguets, ses "mains qui parlent " et qui sont muettes quelques jours, recommencèrent à parler.
Avant d’être déporté à son tour, Adam refila le système à son codétenu, Robert Van Gremberghe, dit "Spada "
Dès l’abord, ce dernier insista afin que l’on prévienne, Loucky, sa fiancée résidant à Bruxelles. Celle-ci, recherchée aussi par la Gestapo et mise au courant par les bons soins de mon père, craignant les contrôles dans le train, nous arriva à vélo.
C’était une belle jeune fille, sportive et valeureuse, chevelure blonde relevée en rouleau sur le front, les lèvres couleur cerise et les yeux couleur d’aventure. Elle portait des chaussures à talon compensé avec des semelles de liège, ce qui la rendait plus grande et plus svelte. Elle avait vingt ans.
– Nous avons participé au sabotage d’un train de munitions. Dans l’escarmouche qui en résulta, un soldat allemand fut tué et mon fiancé a été capturé, nous avoua-t-elle.
Ainsi fûmes-nous embarqués dans une aventure plus périlleuse que jamais dont Loucky devint la nouvelle héroïne. Nous étions tous sous l’emprise de son charme, mais elle n’en avait cure. Modiste de son emploi, elle avait l’art de se tailler les robes qui mettait en valeur sa beauté Elle était séduisante Mais il n’y avait dans son cœur qu’une seule place, celle réservée à son héros, "Spada", le Zorro de Bruxelles, agent du Service Spécial de Sabotage de l’Armée Secrète.!
Une amitié admirative et réciproque naquit bientôt entre elle et ma sœur, toutes deux amoureuses d’un détenu dont la vie était en sursis. Elles se consolaient mutuellement, inconscientes des risques qu’elles couraient.
Adoptée par la famille, Loucky passait ses week-ends chez nous, nos sœurs partageant leur chambre avec elle. Elle apportait, chaque fois, un bouquet de roses rouges qu’elle déposait dans un vase sur l’appui de fenêtre de la chambre, bien en vue des cellules. Elle signalait ainsi sa présence à son fiancé. Ma sœur l’imitait à sa manière. Elle m’envoyait cueillir des marguerites qui poussaient en quantité sur la pelouse du chemin de ronde. Elle les exposait dans son propre vase, une tasse à café ébréchée. Je me doutais que le rouge des roses exprimait un sentiment plus fort que la blancheur des marguerites au cœur jaune et j’en déduisis que la relation qui liait Loucky à "Spada" était plus intime que celle qu’entretenait ma sœur avec "Macadam "dont on entendait plus parler.
Cependant Loucky n’était pas présente tous les jours. Elle tenait un salon de mode réputé à Bruxelles et devait souvent s’absenter. Durant ce temps, c’était ma sœur qui recueillait les confidences et les états d’âme de "Spada.
Soumis régulièrement dans les caves de la Gestapo, à des interrogatoires, il en sortait meurtri et ma sœur tentait de le réconforter, tout en dissimulant la réalité à Loucky afin de la ménager. C’est ainsi qu’au fil du temps et des épreuves, une relation plus intime se développa entre Spada et ma sœur qui s’inventait, à l’insu de sa meilleure amie et très innocemment, un nouvel amour. Un jour, Spada la louangeait pour sa coiffure, un autre jour, il la complimentait pour sa blouse. De son côté, elle l’idéalisait. Quant à "Macadam", "loin des mains, loin du cœur" il se trouvait définitivement déclassé.
C’est ainsi que dans ce climat de vie et de mort naquit entre ces "Mains qui se parlent" mais ne se voient pas, entre le mur sinistre de la prison et la fenêtre entrebâillée d’une maison, un amour clandestin et tragique.
C’était parfois si douloureux à vivre que ma sœur se confiait à ma mère pour se soulager. "Ils l’ont frappé à la tête avec un presse-papier...Ils veulent qu’il dénonce ses comparses… Il avait le visage en sang quand ils l’ont ramené dans sa cellule...Ils lui ont arraché un ongle avec une pince" clamait-t-elle au bord de la crise de nerf. "Sa main est si douloureuse qu’il ne peut plus la lever et correspondre mais il refuse toujours de parler. C’est son ami de cellule, le frère Adolphe, qui a pris la relève. "
Ma mère se taisait et laissait ma sœur pleurer sur son épaule, devinant que tant de douleur exprimée ne pouvait être l’effet que d’un attachement désespéré. Moi-même, impuissant, j’en étais bouleversé.

Ainsi s’étirait ce roman que nous lisions ensemble, qui se termina en tragédie ce jour fatidique où "Spada" le terroriste, le fiancé de Loucky, sur lequel ma sœur avait veillé sans compter, mains, cœur et âme, pourrait-on dire, passionnément en tout cas, fut condamné à mort.
– Il refuse toujours de parler. Ils vont le fusiller, sanglotait ma grande sœur, au comble de la désolation. Elle révélait au grand jour le sentiment profond qui la liait à cet homme, un sentiment qui la dépassait, plus grand et plus fort qu’elle n’en pouvait supporter et la plongeait dans un monde hors de toute considération et de toute norme.
Toute la nuit, elle veilla, laissant brûler sur l’appui de fenêtre la flamme d’une bougie. Aux premières lueurs de l’aube du 1er juillet 1944, elle envoya à son amour secret les derniers mots de réconfort avant qu’on ne le collât au champ de manœuvre de Ronet, contre un panneau de briques ébréchées, face à un peloton casqué.
Elle imagina un interminable silence, un interminable chant d’oiseau dans les rayons horizontaux du soleil levant et, avec le condamné à mort, elle entendit le dernier mot de la dernière chanson humaine : "Feuer !" Comme le condamné au poteau d’exécution, elle sentit dans son corps, en même temps qu’un claquement sec qui réveilla en sursaut l’espace endormi, le dernier contact fulgurant de l’acier qui le traversait de part en part, suivi d’un silence définitif tandis que la terre vampire se gorgeait de son sang.

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1 commentaire Répondre

  • Marc Simal Répondre

    Spada (Robert Van Grimberghe) était Agent du Groupe D de Sabotage Hotton de la 2e Dtion du MDN à Londres. Compagnon de mon beau-père Strangler (Célestin Evrard) lui-même arrêté à Wépion et incarcéré à la prison de Namur du 10 mai 1944 au 31 mai 1944. Transféré ensuite à la prison de Charleroi d’où il sera déporté en Allemagne après être passé et jugé devant un Tribunal de Guerre. A la prison de Namur, Spada et Strangler (Célestin Evrard) seront confrontés mais aucun des deux n’avouera connaître l’autre. Mon beau-père sera le dernier du Groupe D à voir Spada en vie.

    Spada a été arrêté fortuitement à Jambes le 29 février 1944. La veille au soir, il était allé rejoindre, pour mettre au point leurs actions futures, deux de ses comparses (Tarras - Joseph Druez et Louis - Louis Salmon) dans leur planque chez la famille de René Van Loo à Jambes. Ces quelques résistants étaient restés à Namur afin d’y récolter des armes pour renflouer le stock du Groupe D installé alors en Thiérache. Le reste du Groupe, dont Strangler - Célestin Evrard était retourné à Lompret (Thiérache).

    Sur dénonciation, le 29 février 44 au matin, les Allemands sont venus chez les Van Loo pour les arrêter. René Van Loo faisant lui-même partie de la résistance mais dans le M.N.B.

    Par malheur, les 3 agents du Groupe D, surpris au saut du lit, furent également arrêtés. Tarras et Louis étant logiquement dans leur planque du moment, par contre Spada n’aurait pas du s’y trouver. A son arrivée, la veille au soir, souffrant d’une forte angine, il avait accepté l’hospitalité, pour la nuit, que lui avait proposé l’épouse de René Van Loo. Pour son malheur, vu son état et se sentant incapable de rejoindre à pieds sa planque sur les hauteurs de St Servais, il avait accepté malgré les consignes de sécurité qui étaient d’application dans le Groupe D.

    Mon beau-père, Célestin Evrard faisant partie du groupe de combat du Service, était revenu de Thiérache, avec un autre agent (Mickey) dans la région de Namur à l’appel des résistants du Groupe W (des postiers de Namur - résistance non armée) pour "exécuter" les gestapistes qui avaient assassiné, début février, François Bovesse.

    Mission d’"exécution" qui fut réalisée avec succès à Salzinnes le 6 mai 1944. Strangler fut arrêté dans sa planque à l’Auberge des Collets à Wépion, le 10.

    Le Groupe D pensa effectivement faire évader certains détenus de la prison de Namur dont Spada mais il durent abandonner leur plan. Par contre il réussirent à faire retardé l’instruction du dossier de Spada en soudoyant (versement de 200.000 frs d’époque !!!) l’amie d’un des gardes allemands de la prison. Son dossier disparut mystérieusement mais cela ne fit retarder son exécution que d’un mois. Il sera fusillé à la caserne de Flawinne le 1er juillet 1944 et inhumé dans l’enceinte de cette même caserne jusqu’au début d’octobre 1945. Date à laquelle son corps, ainsi que ceux d’autres résistants fusillés et enterrés à Flawinne, seront remis à leur famille après exhumation.

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