Mon père fut sans doute sourd à l’appel messianique puisque jeune encore, après l’étude de la Thora, il subit l’influence d’un groupe constitué de femmes et d’hommes qui comme lui s’éloignaient de la religion et adhéraient aux idées révolutionnaires en marche à l’époque. Il sut très vite qu’il n’était pas bon être juif dans la très catholique Pologne.

Du judaïsme, il avait conservé la morale. Une certaine éthique.

Il n’a pas eu à souffrir du « délit de facies » comme on dit de nos jours. Par chance, il était grand, blond, il avait les yeux bleus. Ce n’était pas le cas pour bon nombre de ses camarades qui se faisaient caillasser à la sortie des « yeshiva ».

Ma mère n’a pas bénéficié en tant que fille au droit à l’étude. Enfermée dans le gynécée, c’est grâce à son tempérament impétueux, à sa curiosité, qu’elle a appris auprès de la fratrie le peu d’instruction religieuse qu’elle a en vain essayé de nous transmettre. Elle s’est vite découragée, mon père l’emportant haut la main, je m’empresse de dire, dans ce seul domaine.

Deux fois par an, pour Pâques et le Nouvel An, fêtes importantes avec Kippour, un grand repas réunissait autour d’une grande table la famille...Ma mère souhaitait que nous portions : les garçons une chemise blanche, les filles un chemisier blanc, cela lui rappelait les fêtes de sa jeunesse.

A Pâques, mon père nous récitait la sortie d’Egypte des hébreux, emportant dans la précipitation le pain cuit sans levain appelé le pain azyme. Sitôt que notre mère s’éclipsait dans la cuisine, mon père sautait quelques pages du petit livre qu’il tenait à la main, la « Hagada », impatient comme nous de savourer la cuisine préparée durant au moins deux jours.

Si ce travail avait épuisé notre mère, ses filles étaient tout autant épuisées, même si seule notre mère s’en attribuait le mérite.

Ma Madeleine de Proust à moi :

Le foie haché aux oignons...
La carpe farcie…
Le bouillon de poule avec les pâtes faites maison…
Les Creplachs (raviolis)farcis à la viande...
Les compotes, les gâteaux pour lesquels notre mère, fille de pâtissier, excellait.

Est-ce cela la culture juive ?

Comme mon père, j’ai appris à dix ans qu’il n était pas bon être juif dans la France de Pétain, mais j’ai su aussi qu’il y avait des gens qui, au péril de leur vie, ont pu aider ceux qui par chance ont pu échapper à la traque et aux rafles.

Le mariage religieux devait être la dernière concession faite à la famille.

Vint la naissance des fils, la circoncision rituelle s’imposa pour le premier. Le second, ce fut un chirurgien à la maternité qui s’en chargea. Ainsi le père voulait que ses fils aient le même zizi que lui.

A l’adolescence, mes fils furent attirés par un mouvement de jeunesse juive laïque.
Plus tard, je compris ce désir de recherche d’identité. Il en est de même pour mes petits enfants.

Le temps viendra où nous pourrons nous détacher, ou plutôt nous libérer de la souffrance du passé.

Je suis de ceux qui attendent toujours lorsque je dis « je suis juive » qu’on lui dise « avez-vous souffert de la Guerre vous et votre famille ? ». Bientôt, il n’y aura plus de témoin vivant.

P.S. : de grâce, gardons l’humour et la cuisine....

2 commentaires Répondre

  • effe Répondre

    Merci, Odette, pour cet article très courageux et très nécessaire.

    Pour moi, ce aurait été la toute première question qui me viendrait à l’esprit si j’avais l’occasion de rencontrer une juive.Mais ce n’est pas sure que j’oserai toujours la poser. De peur de réveiller des souffrances lorsqu’ils seraient momentanément dormants. Parfois les gens qui ont vécu la guerre sont mal à l’aise et quelque part se sentent aussi coupable ( de ne pas avoir cru lorsque les rumeurs circulaient, de ne pas s’être ému plus lorsque les voisins disparaisaient etc.)

    J’ai découvert ce passé et cette abomination d’un coup lorsque j’avais 15 ans. Je me rappelle bien que dans ce temps là on n’en parlait que très très peu. Et je ne comprenais pas cela. Je ne comprenais pas le pourquoi.

    Je crois aussi que la terreur sous les nazis était telle que tous tremblaient pour les siens et il faut dire que rare sont les héros.
    Je crois aussi que l’horreur q’a vécu le peuple juive(comme les homosexuels, les gitans) a été telle que cela nous dépasse.
    Que parfois la raison refuse de croire, tellement c’est horrible. Et pourtant, les faits sont là.
    Merci beaucoup pour ce témoignage. Friede

  • Répondre

    Votre récit me fait penser à un livre que j’ai lu récemment "le jour où j’ai appris que j’étais juif" de Jean-François Derec. L’avez-vous lu ? C’était souvent assez drôle et en même temps on y retrouve cette quête d’identité juive, le besoin de comprendre, de se conforter dans ses racines. Merci de partager votre culture. Lucienne E.

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