Mai 1940, notre pays est « occupé » Les Allemands nous imposent leur joug.

La première chose que nous avons remarquée, c’est le drapeau allemand flottant sur nos édifices publics. Bien d’autres transformations allaient changer notre vie, insidieusement parfois, sans même que, nous nous en apercevions vraiment.

La plus visible sans doute, c’est le ravitaillement. Le Belge moyen passera de 450 grammes de pain, prévus par notre gouvernement avant 1940, à 225 grammes de pain DE SEIGLE bluté à 80%, donc très gris et collant, 170 grammes de farine du même genre, 50 grammes de beurre et margarine, 500 grammes de pommes de terre, 30 grammes de sucre etc. par jour. Nous disposons, pour vivre, de 1400 calories contre 2.300 à 5000 avant guerre.

Les vainqueurs procèdent en outre à des réquisitions pour nourrir les troupes présentes chez nous, et envoyer chez eux des vivres, des textiles et des métaux. Certains emportent individuellement des produits qu’ils ne trouvent plus chez eux. Nous avons donc eu très vite l’impression d’être pillés par les, occupants, d’autant plus que nous avions dû payer en août trois milliards de francs de dommages de guerre !

De plus, des affiches nous informaient de tout ce qui était interdit : les armes à feu, la transmission de nouvelles à des personnes non autorisées, l’hébergement de soldats fugitifs ou de ressortissants anglais ; l’écoute de la radio anglaise…et des sanctions qui découleraient de la non observance de ces instructions : travaux forcés, prise d’otages, exécution par fusillade…

La population terrassée, démoralisée par la défaite française se résigne dans un premier temps, mais dès juin, des petits sabotages individuels font leur apparition. Ajoutons à cela le retour de France de certains leaders, le rappel des souvenirs de l4/l8, l’opposition de l’Eglise catholique au national-socialisme et l’apparition de feuilles clandestines, simples tracts ou papillons au début, qui amènent néanmoins les Allemands à affirmer leur autorité.

Le 11 novembre déjà, anniversaire de la défaite allemande de 14/18, des manifestations pacifiques ont lieu dans notre pays

En Janvier 41, la Belgique a des stocks de farine pour douze jours seulement, et trop peu – ou plus -de pommes de terre, autre aliment de base. Cette situation inquiète les occupants pour plusieurs motifs : une famine éventuelle risque de causer des troubles ou des grèves, et de faire baisser le rendement d’ouvriers mal nourris. Ils se voient donc obligés de nous fournir eux-mêmes certains vivres, et de contraindre la France à nous livrer 12.500 tonnes de céréales.

La situation se tend donc des deux côtés. L’occupant réalise que les journaux clandestins ne peuvent être le fait de personnes isolées, (contrairement aux premiers feuillets hors la loi,) mais révèlent qu’une résistance se met en place principalement dans la bourgeoisie intellectuelle. Cette presse, et les nouvelles qu’apporte la radio anglaise, puis « Radio Belgique » dès septembre relèvent le moral des Belges, leur fait prendre conscience de leur solidarité, ranime leur confiance vis à vis de l’Angleterre et leur foi dans la victoire, d’autant plus que la bataille aérienne ne donne pas aux Allemands les résultats qu’ils avaient espérés. Churchill, le premier ministre avait annoncé du sang et des larmes, à ses compatriotes Anglais. Ils les ont subis, mais n’ont pas capitulé.

La vie n’est pas facile non plus chez nous. Outre la pénurie générale : nourriture, combustibles, textiles etc., nous subissons les bombardements anglais de certaines villes, (que nous reprochons plutôt aux Allemands qu’aux Anglais) l’occultation, le couvre-feu et la peur perpétuelle des contrôles d’identité ou des rafles parfois arbitraires dans lesquelles chacun peut se trouver pris ainsi que le fait que les prisonniers de guerre surtout wallons ne rentrent pas en Belgique. Les occupants enverront aussi des gens de chez nous travailler dans leurs usines, volontaires dans un premier temps, puis « travailleurs obligatoires ».

Chaque personne a droit à des timbres de ravitaillement, lui permettant d’acheter les produits prévus. Mais ceux-ci, déjà insuffisantes sont parfois introuvables.

Une autre partie de la population cette fois, va donc manifester son mécontentement : la classe ouvrière. Estimant que les rations alimentaires, (comme les salaires, bloqués par l’occupant au niveau du l0 mai) s’avèrent insuffisants, et que les allocations de chômage sont supprimées, des mineurs se mettent en grève, manifestation interdite elle aussi-. On comptera entre 7 et l0.000 grévistes rien que dans les mines liégeoises, selon l’aveu des occupants eux-mêmes.

La Fabrique Nationale d’armes de Herstal, administrée par les Allemands, verra par exemple les trois quarts de ses travailleurs arrêter le travail jusqu’à ce qu’une distribution de pommes de terre leur soit promise.

On parlera, en mai 1941 d’une « grève des 100.000 », qui révèlera qu’une action est possible… et payante. Elle suscitera l’intérêt et la solidarité des différentes classes sociales et amorcera la « Résistance » Celle-ci sera plutôt le fait, dans un premier temps de groupes d’amis ou de collègues de bureau par exemple, mais bénéficiera plus tard, de la collaboration des anciens militaires comme des syndicats, et de leurs organisations. Limitée au pays au début, elle débouchera sur une collaboration avec l’Angleterre et les quatre ministres belges qui s’y sont réfugiés. Et nous, jeunes filles « patriotes », nous portons un petit drapeau belge au revers de nos manteaux !

Ces sursauts n’échapperont pas à nos adversaires, et leur feront durcir leurs positions.

Pratiquement, comment les Belges vont-ils survivre ? La nature va les aider : des bancs de harengs pullulent près de nos côtes, et du « petit lait » encore pur à cette époque, dégraissé, mais contenant des éléments indispensables à la vie, comme le calcium, reste en vente libre.et est même livré à domicile, mesuré à la pinte.

Pour obtenir les poissons, ou le peu de viande à laquelle nous avons droit, il convient de se lever tôt ! Dès l’aube et malgré le froid, des files se constituent devant les magasins et les ménagères attendent…Les ménagères ou leurs enfants, comme moi-même que ma mère venait relayer à l’heure d’aller à l’école.

Et puis, il y a le « marché noir ».

La vie à la campagne diffère de celle de la ville. Les paysans ont le droit de garder pour eux une partie de leur production. S’ils ne veulent pas la consommer, s’ils récoltent plus que prévu, ou s’ils fraudent de quelque manière, ils vont la revendre à d’autres personnes. Ces acheteurs le seront pour leur propre compte (mon père par exemple allait chercher des pommes de terre à Boortmeerbeek) ou pour leurs clients. Ces intermédiaires, les « smokkeleers », se fournissent à la ferme, ramènent des produits différents : beurre, farine, pommes de terre, viande,….et les revendent avec un sérieux bénéfice, justifié disent-ils, par leur déplacement, la pénurie, et le risque de confiscation qu’ils encourent, ce trafic étant interdit.

Les prix étaient prohibitifs et ce marché profondément injuste, puisque seuls les nantis pouvaient y recourir.

Le travail des femmes se compliquait aussi : coupures de gaz à certaines heures -ou à l’improviste-, nécessité de faire du pain tant celui du ravitaillement était infect, désir tout de même de manger une douceur, et donc de confectionner des « pâtisseries » à base de carottes, de pommes de terre parfumées à l’essence d’amandes, de son…Ma mère a donc acheté une cuisinière électrique.

Nous disposions aussi de très peu de combustible. Seule, je crois la salle à manger était chauffée : à 18 degrés par un poêle. Pour récupérer les morceaux de charbon, de « boulet » ou de « schlamm » (poussières de charbon agglomérées brûlant mal) non consumés, il fallait régulièrement tamiser les cendres.

La cuisine, orientée vers le nord devenait glaciale en hiver. Pour casser le froid, on allumait la gazinière et on renversait sur le bec qui brûlait un pot à fleur en terre cuite retourné, mais il nous est arrivé aussi d’amener toute la vaisselle à laver à la salle à manger, et de l’y laver.

Le rationnement, outre l’alimentation, touchait notamment les produits d’entretien, de soins corporels et les textiles. On retournait les vêtements, c’est-à-dire que si l’endroit d’un tissus épais était usé, on l’employait sur l’envers en essayant de masquer les anciennes boutonnières qui se trouvaient évidemment du mauvais côté ; on détricotait et re-tricotait des pull-overs, de deux vêtements on en faisait un, on passait les habits d’un enfant à l’autre, on raccommodait bas, chaussettes et linge,…toutes économies et récupérations inimaginables de nos jours.

Le cuir aussi se trouvait contingenté. Je me souviens par exemple avoir eu mal aux pieds dans des chaussures devenues trop petites. Nous découvrions aussi le mot « ersatz » (produit de remplacement de moindre qualité), constitué en ce cas par une espèce de toile cirée, qui outre le tissu ou la feutrine servait de matériau de base pour les « sacs à main » que nous portions.

Malgré les circonstances, ou à cause d’elles, la population avait besoin de distractions. Les occupants que nous appelions « les boches », les « teutons », les fritz, les « fridolins » ou « les vert de gris », par allusion à la couleur de leurs uniformes, nous en fournissaient, mais en imposant leur culture, à travers la musique, le cinéma, les variétés, la radio, la littérature, et la presse.

Toutes les publications anglo-saxonnes étaient prohibées ; des œuvres écrites ou peintes qualifiées de « décadentes », détruites…L’occupant les remplaçait par des productions émanant d’Allemagne, de pays occupés ou favorables à son régime.

Les journaux étaient évidemment censurés ; certains d’entre eux paraissaient sous leur ancien titre pour mieux nous tromper, et un beau magazine dénommé « Signal » complétait l’intoxication de la population.

Cela nous a valu de découvrir outre les écrivains français, et norvégiens par exemple non interdits, des auteurs allemands.

Mais je me souviens par contre d’un film appelé « Jüd Süss » qui mettait en scène le juif Süss, débauché particulièrement répugnant qui faisait passer ainsi la propagande antisémite nazie sous le couvert d’une histoire banale.

Hitler se suicidera le 30 avril et la paix générale sera signée le 8 MAI 1945.

Est-il possible d’oublier ? Est-il utile d’oublier ?

Reste-t-il du positif, et quoi ?

Les horreurs vécues par l’Europe ont été sans doute le départ de réflexions puis d’accords, débouchant aujourd’hui sur l’Union Européenne Sans doute pouvons-nous applaudir au fait qu’il n’y ait plus eu de conflit entre la France et l’Allemagne depuis plus de soixante ans alors qu’ils s’étaient succédés, en 1870, 1914 et 1939, entraînant les pays voisins dans des affrontements terribles qui ne les concernaient pas.

Ma génération, marquée bien sûr par le conflit, en a-t-elle retiré, un bénéfice quelconque ?
Il me semble que, la paix revenue, nous nous sommes précipités vers tout ce qui avait été inaccessible au point de vue matériel durant la guerre. Sous l’influence de l’Amérique et de notre propre désir, nous nous sommes lancés dans le confort de la société de consommation. Nous avions appris à ménager les ressources naturelles et aussi, le gaz, l’électricité, les combustibles, les céréales, la nourriture, les textiles…
Nous en avons usé et abusé, jusqu’à mettre notre planète en danger.

Nous n’avons pu conserver ni transmettre l’idée de consommation prudente, et la nécessité de l’effort, et les avons remplacés par la volonté d’acquérir facilement, et tout de suite. Nous avons quelque peu oublié aussi la solidarité qui s’était établie face aux dangers.

De plus, notre génération a gardé vis-à-vis des Allemands, un manque de sympathie certain, surtout s’ils ont notre âge. « Qu’as-tu fait pendant les hostilités, chez nous… ou ailleurs ? » reste la question qui nous vient à l’esprit lorsque nous en rencontrons.

Entendre parler Allemand suffit déjà à nous rappeler les discours belliqueux d’Hitler. Avant 1940, je ne savais pas ce qu’était la guerre, mais j’avais peur en entendant le ton des propos de ce dictateur déifié, et la réponse enthousiaste d’un peuple fanatisé.

Mais l’Union Européenne , la crise commencée en 2008, le réchauffement de la planète et l’arrivée des jeunes générations modifieront, je l’espère, ce climat de suspicion, et nous amèneront, je l’espère, à une gestion plus raisonnable, plus économe, moins égoïste et moins hédoniste de nos richesses.

Ce sont mes voeux les plus chers.

1 commentaire Répondre

  • Lucienne E Répondre

    Merci pour ce récit chronologique et détaillé de toutes ces années de guerre.Née en 39, j’en gardais un souvenir insouciant de toute petite fille. Ma mère m’avait bien raconté plus tard ses angoisses quand elle n’avait rien à mettre sur la table pour le repas et aussi qu’elle allait "glaner" des grains de blé après la fauche dans les champs.
    Mon grand-père et ma soeur sont morts lors d’un bombardement et mon grand frère a été "travailleur obligatoire" en Allemagne. Cela se passait quand j’avais 4-5 ans et ne m’a pas traumatisée comme ce fut le cas pour le reste de ma famille. Je n’ai donc pas gardé cette douloureuse amertume que tu décris et qui est fort compréhensible.
    J’ai été amenée à écouter des récits de vie pendant la guerre vécus par des allemandes. Mêmes souffrances, mêmes horreurs pour la population.Inutile de te dire que je suis une pacifiste convaincue. Toutes ces souffrances du "petit peuple" pourquoi ? Et là Vive la construction de l’Europe, même si l"accouchement" est long et difficile.
    C’est tellement bête et méchant ces guerres aux quatre coins de la planète, à désespérer en regardant les JT ! Et ce sont toujours les mêmes qui souffrent, quel que soit le côté de la barrière. Quand l’HOMME sera-t-il adulte et responsable ?

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