Entre le 14 février 1996 et le 14 février 1997, j’ai perdu 22 kilos ! Ce fut une vraie victoire. Beaucoup plus globale qu’une simple perte de poids. J’ai repris mon carnet Weight Watchers où sont consignés dates et efforts consentis durant toute cette année. Ce qui me frappe, c’est la Saint Valentin qui marque le début et la fin de cet exploit. Ce fut un heureux hasard, mais aussi peut-être un signe, l’amour y est pour beaucoup.
Les kilos et moi firent l’objet d’une guerre depuis toujours . A la naissance : 1 Kilo 800. Là, j’ai fait fort mais dans le sens « hypo ». J’ai un peu triché quand-même, je n’étais pas finie, il me manquait un mois de parachèvement dans le ventre de ma mère. L’impatience est un de mes défauts favoris. Il faut dire que ce premier cocon n’était pas très accueillant. En cette époque lointaine, être mère à 42 ans dans une famille économiquement faible, avec déjà de grands ados à la maison et une guerre mondiale en perspective, n’était pas un cadeau de la vie. Enfin, bon, j’étais là, il fallait faire avec !
Ce déficit de poids fut très vite effacé. Je me souviens d’une photo à l’âge de 2 ans : je parais aussi haute que large !
Dans ma famille, la gent féminine est plutôt enrobée. Il doit bien y avoir une prédisposition génétique, mais surtout une incurie sur le plan alimentaire. On y mangeait glucidique, lipidique et pas trop cher. Souvenez-vous du riz au lait sans modération. Ajoutez-y pommes de terre et autres légumes du jardin en purée, agrémentés généreusement de matière grasse et accompagnés de lard, boulettes et autres viandes bon marché.
Le résultat ne se fit pas attendre : j’étais une petite fille plutôt ronde avec la difficulté pour ne pas dire la souffrance de se trouver différente des autres enfants. Les séances de piscine apportaient leur plein de sentiments douloureux et contradictoires. D’un côté, j’adorais aller nager et de l’autre, se mettre en maillot déclenchait un sentiment violent de honte. Seul adjuvant à cette détresse : manger des biscuits, des bonbons et autres crasses sucrées, pour faire taire la peine, pour se consoler. La conséquence évidente était le ré-enclenchement du circuit « honte-consolation ».
Manger était aussi une façon de remplir un vide affectif, une soif inextinguible d’amour et évacuer le sentiment de rejet, d’abandon. Le fait de se remplir anesthésie momentanément toutes ces carences. Cela, je l’ai découvert bien plus tard.
Pendant l’enfance, les kilos en trop ne me dérangeaient que de manière ponctuelle. Mais à l’adolescence, avec un regard plus sexué sur la vie, le quotidien devint intenable. Il fallait agir !
La danse des régimes va faire partie de ma vie. J’en ai connu tous les pas, des plus saugrenus aux plus équilibrés. Le système yoyo s’est installé tout seul, avec ses corollaires : frustration, perte de contrôle, culpabilité. Si on considère toutes les pertes et reprises de poids, on peut facilement évaluer que j’ai perdu quelques 300 kilos !
Il y eu toutefois de longues périodes à un poids plus ou moins normal. Mais à quel prix ! Je me lâchais le week-end et prenais 3 kilos que je perdais en semaine en m’affamant.
Mon médecin me disait bien : « Madame, arrêtez tous ces régimes idiots, un jour vous allez craquer et bouffer tant et plus ». Ce qui fut fait vers 45 ans en même temps qu’un gros travail thérapeutique.
Curieusement, quand j’avais 65 kilos pour 1m65, entre 25 et 45 ans, (période des cycles « +3 kilos, - 3 kilos »), je me sentais obèse, très mal dans ma peau.
Thérapie aidant, j’ai appris à m’aimer, à me respecter. Cela a pris beaucoup de temps. Avec 20 kilos en plus, bizarrement, je ne me vivais plus comme obèse, juste trop grosse. C’était désagréable de prendre physiquement tant de place, de bousculer les chaises au passage et d’acheter des vêtements grandes tailles sombres et moches, des cache-misère.
Je me suis rendue compte aussi que ce matelas graisseux qui m’entourait était une protection pour ne pas me laisser envahir pour les autres. Petit à petit j’ai appris à prendre ma place, à oser des idées personnelles, à dire « non » sans se sentir rejetée, à me faire confiance , à me reconnaître. Le deuil de cette attente d’amour extérieur se faisait doucement, évacuant tristesse et colère. La graisse pouvait partir, je n’en avais plus besoin.
Et pour la première fois, je tins bon ! Moins 22 kilos en un an. Pas toujours facile de changer les comportements alimentaires pernicieux mais bien ancrés dans les habitudes. Et cela sur le long terme.
Donc, le 14 février 1997, je satisfaisais à l’Indice de Masse Corporelle (la moyenne supérieure quand-même, c’est-à-dire 25). J’étais ravie, j’avais perdu 4 tailles. Cela dura un bon bout de temps, mais je vivais toujours dans l’obsession des régimes : les « 0% » peu gouteux, les soi-disant lights, les repas différents des autres.
Je mangeais avec ma tête, ayant depuis toujours perdu le contact avec mes sensations de faim et de satiété. Ce système est frustrant, déclenche des pertes de contrôle et accouche d’un sentiment de culpabilité, de nullité.
C’est la lecture de « Maigrir sans régime » de Jean-Philippe Zermati qui m’ouvrit les yeux. Il démontre très bien le côté pervers de cette démarche et donne des pistes pour s’en sortir.
Je suis enfin débarrassée de ce contrôle épuisant et permanent face à la nourriture. Quel soulagement que d’accepter un resto, un repas entre amis sans se lamenter sur les conséquences négatives prévisibles. Le plaisir en est écorné, l’humeur en pâtit. J’ai aussi accepté d’être une femme un peu ronde, et pas une image de magazine. Mon naturel est la rondeur, dans la tête, dans le cœur et dans le corps. Et voilà !
Maintenant, j’avoue que ce n’est pas facile de lier contact avec ses sensations corporelles quand on les a occultées si longtemps. Je sonde mon mari qui n’a vraiment aucun problème de poids.
« Comment sais-tu que tu as faim et que tu as assez mangé ? ».
« Je ne sais pas, c’est naturel, si je n’ai plus faim, même si c’est délicieux, je ne peux tout simplement pas avaler cette dernière petite cuillerée ».
Il en a de la chance !
Ce qui certain, c’est que je ne regrimperai plus jamais à + 20 kilos, je n’en ai plus besoin.
Un nouveau challenge très excitant s’impose à moi : me réconcilier avec mon corps, m’en faire un ami qui sait ce qui me convient sur le plan alimentaire. Je ne désespère pas de perdre du poids sans me faire violence, en m’écoutant. Une nouvelle histoire d’amour, en somme.
Ce sera à nouveau un long chemin, je crois, mais je suis à la retraite, j’ai le temps.